Par autonomie locale, on entend le droit et la capacité effective pour les collectivités locales de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité et au profit de leurs populations, une part importante des affaires publiques.
La question principale est ici de déterminer si, dans la situation actuelle, les communes et les districts de Pologne règlent et gèrent, « sous leur propre responsabilité et au profit de leurs populations, une part importante des affaires publiques ». Pour juger du respect ou non de cette disposition, il convient de tenir compte du caractère plutôt « subjectif » et relatif de concepts tels que « la capacité », « une part importante des affaires publiques », « sous leur propre responsabilité » et « au profit de leurs populations », puisqu’il n’existe aucune méthode officielle ou universelle pour mesurer cette importance. Il faut donc prendre en considération l’évolution historique, la culture et les traditions constitutionnelles du pays concerné. Cette question est aussi étroitement liée à l’évaluation de la conformité avec d’autres parties de la Charte, comme ses articles 4, 8 et 9.
Pour évaluer le respect de cette disposition, on prendra en considération à la fois des aspects législatifs et des éléments factuels.
En Pologne, l’article 166.1 de la Constitution dispose ce qui suit : « [l]es missions publiques dont le but est la satisfaction des besoins de la collectivité sont assurées par les collectivités territoriales en tant que responsabilités directes. » Ce principe se retrouve aussi à l’article 2 de la loi sur les collectivités territoriales (« La commune assure des missions publiques en son nom propre et sous sa propre responsabilité »), de même qu’à l’article 2 de la loi sur l’autonomie des powiaty (« Le district assure les missions publiques prévues par la loi en son nom propre et sous sa propre responsabilité »). Les fonctions des communes et des powiaty sont divisées en deux catégories – les fonctions propres (autonomes) et les fonctions déléguées – selon la liberté de décision dans leur exercice.
Un autre indicateur de l’« importance » ou du rôle politique et social des collectivités locales dans un pays est la part des dépenses des collectivités locales au sein du budget public national consolidé, en comparaison en particulier avec les autres pays de l’Union européenne. En Pologne, comme on l’a vu, les collectivités territoriales gèrent 31,3 % des dépenses publiques totales.
Toutefois, lors de la visite de suivi, la délégation a eu connaissance d’un récent processus de recentralisation touchant à plusieurs compétences déjà transférées aux collectivités locales et régionales. Très souvent, ce processus consiste en la création d’autorités de l’État, en invoquant comme justification la mise en œuvre de directives de l’UE. Les représentants des collectivités s’inquiètent de cette évolution pour deux raisons : premièrement, ils se plaignent du fait que les lois en question ont été votées sans examen par la commission conjointe (voir infra, au sujet de l’article 4) ; deuxièmement, ils considèrent que le processus de recentralisation est injustifié et contraire au principe de l’autonomie locale.
Parmi les compétences précédemment exercées par les collectivités locales et régionales et qui ont graduellement été réattribuées à l’État, les représentants locaux ont cité :
- la centralisation des centres de conseil sur l’agriculture (aide aux agriculteurs) ;
- la centralisation des fonds de protection de l’environnement (distribution des fonds de l’UE) ;
- la centralisation de la gestion des eaux, notamment des autorités de lutte contre les inondations ;
- la centralisation des installations sportives financées par la loterie nationale ;
- la centralisation des compétences relatives aux anciens combattants ;
- la centralisation des compétences relatives à la gestion des écoles ;
- la centralisation des compétences dans le domaine des allocations familiales et parentales et de la prime de naissance.
Dans ses réponses écrites au questionnaire des rapporteurs, le ministère de l’Intérieur et de l’Administration a indiqué certaines des raisons ayant motivé la centralisation des compétences, insistant sur la nécessité d’appliquer les directives de l’UE et de rationaliser les services publics en vue d’harmoniser les niveaux de vie. Le ministère a conclu que les propositions de loi avaient été adoptées au moyen d’un vote du Parlement. Lors de la procédure de consultation, le gouvernement a utilisé le même type d’arguments pour justifier la centralisation de certaines compétences. Il a démenti l’existence d’une recentralisation en tant que telle, parlant plutôt d’une harmonisation des niveaux d’accès aux services et aux prestations sociales, ou de corrections mineures portant sur l’étendue des activités des collectivités.
Les rapporteurs sont conscients qu’il n’est pas possible de définir avec précision, concernant l’article 3.1, « [l]es affaires que les collectivités locales doivent être habilitées à régler et à gérer » et que « les traditions des États membres en ce qui concerne les affaires considérées comme relevant des collectivités locales diffèrent considérablement ». Par conséquent, les rapporteurs considèrent que cet article doit être lu à la lumière de la tradition de chaque État membre.
Les rapporteurs ont également pris note des raisons invoquées pour la recentralisation de compétences par le gouvernement polonais, quoique le fait que les amendements aient été adoptés par le Parlement ne puisse pas être considéré comme une justification valide d’une violation de la Charte.
Cependant, compte tenu du processus historique de décentralisation mis en place avec succès par la Pologne depuis les années 1990, et par conséquent du haut degré d’autonomie des collectivités territoriales polonaises, et eu égard également aux ingérences du pouvoir central dans certaines compétences locales (telles qu’elles sont soulignées au sujet des articles 4.4 et 8.3), les rapporteurs s’inquiètent du processus de recentralisation de compétences à l’œuvre dans le pays, qui a pour effet de défaire certains aspects d’un système efficace de gouvernance locale et régionale décentralisée.
Pour ces raisons, les rapporteurs concluent que l’article 3.1 de la Charte n’est qu’en partie respecté en Pologne.