Les collectivités locales ont droit, dans le cadre de la politique économique nationale, à des ressources propres suffisantes dont elles peuvent disposer librement dans l’exercice de leurs compétences.
Ces trois alinéas de la Charte doivent être analysés conjointement, puisqu’ils sont liés entre eux et, en résumé, requièrent que les collectivités locales disposent de ressources financières suffisantes. Avant d’analyser ces dispositions, deux points doivent être soulignés. D’une part, il est à noter que la Constitution moldave, bien qu’elle consacre plusieurs dispositions à l’administration locale, ne comprend aucun paragraphe ni alinéa sur la question du financement des collectivités locales. La seule référence aux finances locales se trouve dans son article 131.5, selon lequel « [l]es budgets des départements, des villes et des villages sont élaborés, approuvés et exécutés dans les conditions fixées par la loi », ce qui équivaut au final à ne rien dire. Il en est de même pour l’article 132.1, qui dispose que « [l]es impôts, les taxes et toutes les autres recettes du budget de l’État et du budget des assurances sociales d’État, des budgets des districts, des villes et des villages sont établis selon la loi par les organes représentatifs respectifs ». Par conséquent, les principes du caractère suffisant et proportionné des finances locales, de même que leur nature diversifiée et évolutive, ne sont pas reconnus dans la Constitution. De plus, la Cour constitutionnelle n’a rendu aucune décision sur la question de l’autonomie financière des collectivités locales.
Par conséquent, la réglementation et la structure des finances locales sont intégralement laissées entre les mains du parlement et du gouvernement. Dans ce domaine, les principaux textes législatifs sont la loi n° 397-XV du 16 octobre 2003 sur les finances publiques locales, le Code des impôts de la République de Moldova n° 1163 du 24 avril 1997, la loi n° 847-XIII sur le système et la procédure budgétaires et la loi de 2006 sur l’administration publique locale.
Dans le domaine de la budgétisation et des dépenses, les villes et villages peuvent librement élaborer et approuver leur propre budget, cette procédure étant régie par la loi sur les finances publiques. Le conseil local est l’autorité compétente pour approuver le budget. Les collectivités locales sont en théorie autonomes pour décider de leurs priorités en matière de dépenses (du moins pour les « recettes propres »), et en principe ni le gouvernement ni aucune autre autorité de l’État ne peut porter atteinte à l’autonomie budgétaire des communes. Les institutions de l’État ne sont pas autorisées à intervenir dans l’élaboration ou l’exécution des budgets locaux. Comme on l’a vu, une fois le budget annuel local approuvé, il doit être communiqué au ministère des Finances, mais celui-ci n’a pas pour rôle d’approuver formellement ou d’amender le budget.
Le Congrès a de manière récurrente qualifié de médiocre la situation générale des finances locales en Moldova. Ainsi, dans sa Recommandation 179 (2005) sur la démocratie locale en Moldova, le Congrès formulait plusieurs recommandations et observations dans ce domaine et soulignait notamment « le caractère très limité de cette autonomie en Moldova et l’absence presque totale de liberté de décision des collectivités locales concernant les questions financières » (point 8.c.i). Dans sa Recommandation 322 (2012), le Congrès notait également plusieurs insuffisances de ce point de vue (point 5, c-e). Les rapporteurs n’ont pu constater aucune amélioration substantielle lors de leur visite. De plus, dans un rapport de 2017, la Cour des comptes de la République de Moldova a conclu que les collectivités locales dépendaient totalement du pouvoir central.
En République de Moldova, les principales sources de recettes locales sont les suivantes :
les recettes propres (impôts et redevances locaux). Les impôts locaux seront étudiés plus en détail ci-dessous ;
les impôts et redevances partagés ;
les ressources spéciales (fonds spéciaux) ;
les transferts (provenant du budget de l’État). En République de Moldova, la plus grande partie des recettes des collectivités locales provient de transferts accordés par le pouvoir central. Ces transferts seront étudiés au point 4.8.7 ci-dessous ;
l’emprunt. Ce point sera étudié plus en détail ci-dessous ;
les recettes provenant de la vente, de la location et de la privatisation de biens ; les recettes provenant d’activités commerciales.
D’après les chiffres fournis par le ministère des Finances pour les trois dernières années, la structure des recettes des collectivités locales peut être décomposée comme suit : en 2015, les recettes totales pour les budgets locaux ont été de 11 039 millions de lei, dont 981,7 millions de lei de « recettes propres » (8,9 % des recettes) ; la part sur les taxes de l’État a été de 1 901 millions de lei (17,2 %) et le montant total des transferts de 7 504 millions de lei (68 % des recettes totales), dont 852,9 millions de lei (7,7 %) de « transferts à caractère général ». En 2016, les recettes totales pour les budgets locaux ont été de 12 053 millions de lei, dont 1 022 millions de lei de « recettes propres » (8,5 % des recettes) ; la part sur les taxes de l’État a été de 2 272,1 millions de lei (18,9 %) et le montant total des transferts de 8 263,7 millions de lei (68,6 % des recettes totales), dont 1 082,6 millions de lei (9 %) de « transferts à caractère général ». En 2017, les recettes totales pour les budgets locaux ont été de 13 461 millions de lei, dont 1 280,4 millions de lei de « recettes propres » (9,5 % des recettes) ; la part sur les taxes de l’État a été de 2 171,2 millions de lei (16,1 %) et le montant total des transferts de 9 552,5 millions de lei (71 % des recettes totales), dont 1 211,1 millions de lei (9 %) de « transferts à caractère général ».
Deux conclusions préliminaires peuvent être tirées de ces chiffres. Premièrement, la proportion des « recettes propres » dans les budgets des collectivités locales est très faible. Deuxièmement, la principale source de financement des collectivités locales consiste en transferts de l’État. En Moldova, les recettes locales proviennent pour une large part de transferts entre niveaux d’autorité et de taxes partagées, aucune de ces sources n’étant sous le contrôle des collectivités locales. Ces premiers constats sont clairement contraires aux dispositions des articles 9.1 et 9.3 de la Charte.
En 2015, les principaux postes de dépenses budgétaires des collectivités locales ont été les suivants :
collectivités locales de premier niveau : a. éducation : 37 % ; b. services publics généraux : 12 % ; c. protection de l’environnement : 12 % ; d. transports, routes et rues : 12 % ; e. culture, arts et sports : 12 % ;
collectivités locales de deuxième niveau (districts-raioane) : a. éducation : 52 % ; b. services publics généraux : 16 % ; c. aide sociale : 8 % ; d. logements collectifs : 7 %. Ces chiffres montrent clairement que l’éducation est le principal poste de dépenses des collectivités locales, qui ne disposent cependant d’aucun pouvoir pour définir les salaires de leurs employés (y compris les enseignants), puisque ces salaires sont définis par le pouvoir central. De même, elles n’ont que peu de pouvoir en matière de politiques sociales. Par conséquent, les finances publiques sont encore dans une large mesure centralisées.
Plusieurs indicateurs permettent d’évaluer le degré de décentralisation budgétaire du pays, au premier rang desquels le poids et l’importance des budgets locaux. De ce point de vue, d’après les experts et les organisations internationales, et même de l’aveu du ministère des Finances, les budgets des collectivités locales moldaves sont extrêmement faibles si on les compare aux niveaux européens. Par exemple, il a été indiqué à la délégation que les dépenses budgétaires totales de la ville de ChiÈ™inău étaient d’environ 50 millions EUR, soit un montant modeste pour une capitale de cette importance. Un autre indicateur est la part des dépenses publiques locales au sein des dépenses totales du secteur public. D’après les chiffres fournis par le ministère des Finances, cette part était de 24,8 % en 2015, de 23,2 % en 2016 et de 24,3 % en 2017. Ces chiffres peuvent paraître positifs en comparaison avec les autres pays européens, mais il faut se souvenir qu’il n’y a pas de régions dans le pays (hormis l’UTA de Gagaouzie) et que par conséquent 75 % environ des dépenses publiques se font encore au niveau du pouvoir central.
Le fait que le système de financement local est insuffisant et insatisfaisant est non seulement une doléance récurrente du CALM et des élus locaux, mais il a aussi été reconnu par des représentants du gouvernement que la délégation a rencontrés à ChiÈ™inău. D’après le ministère des Finances, les sources de financement ne sont pas assez diversifiées. Les finances locales souffrent de divers problèmes structuraux, comme le manque de ressources pour les investissements et le faible niveau de collecte de recettes propres. La plupart des collectivités locales moldaves sont insuffisamment financées et une large majorité d’entre elles ne collectent pas de ressources propres leur permettant de financer ne serait-ce que leurs coûts de fonctionnement.
Les représentants du ministère des Finances ont également indiqué à la délégation que le gouvernement avait pris ces deux dernières années plusieurs initiatives visant à améliorer la situation des finances locales. Par exemple, la loi n° 281 du 16 décembre 2016 a porté de 3 % à 4 % le taux maximal de la taxe sur les biens immobiliers d’habitation, tandis que la loi n° 288 du 15 décembre 2017 a accordé aux collectivités locales le droit de déterminer le degré d’achèvement des constructions à des fins fiscales et le droit de décider ou non d’exonérer certaines personnes de la taxe foncière. Les représentants de ce ministère ont ajouté que les collectivités locales disposaient véritablement d’une marge de discrétion quant à l’utilisation de leurs ressources propres. La définition de priorités et l’affectation des ressources financières disponibles sont du ressort exclusif des collectivités locales. Le faible potentiel financier des collectivités locales découle du sous-développement de la base économique (contribuables potentiels), dû principalement à l’existence d’un trop grand nombre de collectivités locales trop peu peuplées.
Lors de la visite, le ministère des Finances a concédé que la situation n’était pas satisfaisante, soulignant cependant que la situation économique du pays était mauvaise elle aussi, qu’il y avait de hauts niveaux d’évasion fiscale et de corruption et que l’assiette fiscale de nombreuses collectivités locales (en particulier celles de taille petite ou moyenne et celles des régions rurales) était très limitée du fait de la structure économique médiocre du pays. Par conséquent, modifier le cadre réglementaire afin de renforcer l’autonomie budgétaire des collectivités locales n’apporterait pas de réel changement à la situation, eu égard au faible potentiel fiscal au niveau local. La situation économique des collectivités locales semble donc être prise dans un cercle vicieux : elle est étroitement liée à la situation économique générale du pays, et ne changera pas tant que cette situation ne connaîtra pas d’amélioration significative.
Lors de la procédure de consultation, le gouvernement a souligné qu’un nouveau système de finances publiques locales avait été introduit en République de Moldova dans le cadre de la Stratégie nationale de décentralisation, modifiant radicalement le mode de financement des collectivités locales et les transferts entre le budget national et les budgets des collectivités locales de tout niveau. Le gouvernement qualifie ce nouveau système financier de transparent et prévisible, ajoutant qu’il accorde une plus grande autonomie budgétaire aux collectivités locales et contient des mesures d’incitation pour la croissance des recettes locales.
Pour ce qui concerne la position des élus locaux sur la question des finances, ils ont unanimement affirmé que d’une manière générale ils étaient très mécontents des modalités actuelles. Premièrement, ils se plaignent du fait que les collectivités locales sont clairement sous-financées et qu’elles dépendent de transferts de l’État. Par exemple, seulement dix villes de Moldova collectent suffisamment de ressources pour payer les salaires de leur personnel. Toutes les autres doivent avoir recours à des transferts de l’État pour rémunérer leurs ressources humaines et pour leurs dépenses de fonctionnement. Deuxièmement, ils se sont plaints que le système actuel de transferts n’était pas satisfaisant, pour des raisons qui seront détaillées ci-dessous. Enfin, dans de trop nombreux cas, la loi attribue de nouvelles compétences aux collectivités locales sans leur allouer dans le même temps des ressources financières nouvelles et adéquates.
Enfin, concernant les biens locaux, les collectivités locales moldaves disposent de leurs propres biens, marchandises et actifs. Leur droit de posséder des biens fonciers et immobiliers est pleinement reconnu, et elles peuvent gérer librement leurs biens et actifs. Par exemple, parmi leurs biens figurent les rues, les routes, les parcs, les cimetières, les bâtiments et équipements administratifs, les écoles, les garderies, les centres culturels, les bibliothèques, les équipements sportifs, etc. de leur territoire. L’un des principaux problèmes dans ce domaine, cependant, tient au fait que dans de nombreux endroits les terrains appartenant à la collectivité locale ne sont pas convenablement délimités vis-à-vis des terrains privés ou appartenant à l’État. Par conséquent, les parcelles ne peuvent pas être recensées à des fins fiscales, ce qui engendre pour les collectivités locales une perte importante de ressources propres potentielles.
Compte tenu de toutes ces considérations, les rapporteurs concluent à la violation de l’article 9, paragraphes 1, 2 et 4, de la Charte en République de Moldova.