Les collectivités locales ont droit, dans le cadre de la politique économique nationale, à des ressources propres suffisantes dont elles peuvent disposer librement dans l’exercice de leurs compétences.
Le caractère suffisant, proportionné et diversifié des ressources financières est examiné conjointement, puisque ces trois conditions garantissent aux collectivités locales des ressources financières leur permettant d’exercer leurs compétences.
Les finances publiques en Bosnie-Herzégovine
Il existe quatre systèmes de finances publiques en Bosnie-Herzégovine : le budget des institutions de la BiH ; le budget de la Republika Srpska ; le budget de la Fédération de Bosnie-Herzégovine ; le budget du district de BrÄko. Compte tenu de la taille du pays, la part des autorités infranationales sur l’ensemble des finances publiques est inhabituellement élevée : « les institutions de l’État n’utilisent que 15 % des recettes publiques, tandis que la Fédération de Bosnie-Herzégovine et la Republika Srpska en utilisent respectivement 52 et 30 % (le reste allant au district de BrÄko) [17]. Un Cadre global d’équilibre et de politiques budgétaires pour la BiH assure la coordination des politiques budgétaires du pays pour les trois années à venir. Il est adopté sous la forme d’un accord entre les gouvernements de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, de la Republika Srpska et de la BiH et promulgué par le Conseil budgétaire de BiH composé des trois chefs de gouvernement et des trois ministres des Finances (le gouverneur de la Banque central et le maire du district de BrÄko y ont le statut d’observateurs).
Si les impôts directs sont de la compétence exclusive des Entités et collectés à ce niveau, l’État (Autorité des impôts indirects) lève des impôts indirects dont les recettes sont allouées aux deux Entités. Celles-ci les distribuent elles-mêmes aux collectivités locales selon diverses méthodologies et après les étapes suivantes : après l’affectation de ressources au compte de réserve, pour le produit sur les recettes indirectes, des ressources prédéterminées sont allouées pour le financement des institutions de la BiH, suivies du montant de 3,55 % ou d’au moins 124 millions BAM par an pour le financement du district de BrÄko. Les ressources restantes sont partagées entre les Entités. Les communes reçoivent la part la moins importante, par rapport aux autres niveaux d’autorité. De même que les cantons, elles dépendent lourdement des impôts indirects : « les recettes de la TVA constituent : 30 % des budgets municipaux en Fédération de Bosnie-Herzégovine ; près de 65 % des recettes des cantons ; 50 % des budgets municipaux en Republika Srpska »[18].
Avant que le montant des recettes des impôts indirects au sein des Entités soit partagé entre le budget de l’Entité et celui des communes (et des cantons en Fédération de Bosnie-Herzégovine), chaque Entité paie tout d’abord ses propres dettes extérieures au moyen des recettes de la TVA, ce qui engendre des différences de recettes considérables des communes (et des cantons) du fait de la variation annuelle du service de la dette[19].
Conformément à la loi de la Republika Srpska sur le système budgétaire, sur les recettes des impôts indirects allant à la Republika Srpska, et après l’engagement de ressources pour le service de la dette extérieure, 72 % vont au budget de l’Entité, 24 % aux budgets des collectivités locales et 4 % à l’entreprise publique « Putevi Republike Srpske » (infrastructures routières).
La part des recettes des impôts indirects allant aux communes est ensuite répartie en appliquant la formule suivante : 75 % selon la population, 15 % selon la superficie et 10 % selon le nombre d’élèves de l’enseignement secondaire. Cette formule (adoptée en 2005) n’établit aucune distinction entre Banja Luka, les villes et les communes, ce qui a donné lieu à des plaintes des communes situées aux frontières ou sur le Ligne-frontière inter-entités du fait des coûts supplémentaires liés aux travailleurs frontaliers.
Leur part sur les impôts indirects représente environ 30 % des recettes des communes de Republika Srpska. La législation de la Republika Srpska détermine la manière dont les recettes propres des collectivités locales sont structurées : taxe foncière, amendes (contraventions), frais administratifs, taxes sur les services collectifs, taxe sur l’approvisionnement en eau, jeux de hasard. La liberté de dépenses des recettes propres est garantie. Le ratio entre les recettes indirectes et propres est de 70 % pour 30 %. Les taxes partagées incluent : l’impôt sur les sociétés (70 % Republika Srpska – 25 % communes), la TVA indirecte (72 % Republika Srpska – 24 % communes), la taxe sur la conversion des terrains (70 % communes), les concessions (75 % communes), les loyers de terrains appartenant à la Republika Srpska (50 % Republika Srpska – 50 % communes), l’eau (en surface et sous-terraine, 30 % communes), l’énergie hydraulique (30 % communes).
En Republika Srpska, les ministères compétents (Finances, Autonomie locale) estiment que la situation financière globale des collectivités locales est satisfaisante. En 2017, les 64 collectivités locales de Republika Srpska (57 communes et 7 villes) ont réalisé un excédent de 40,43 millions BAM (environ 20 millions d’euros), et l’excédent non attribué (c’est-à-dire les fonds assignés non dépensés) s’élève à 16,96 millions BAM (environ 8 millions d’euros). Pour 2018, au 30 septembre de cette année, un excédent de 53,7 millions BAM a été réalisé, et l’excédent non attribué s’élève à 44,78 millions BAM.
Cependant, les maires de Republika Srpska soulignent qu’en dépit d’améliorations les budgets locaux ne se remettent que graduellement et lentement des tensions extrêmes provoquées par la crise économique et financière et qu’ils ne sont pas encore revenus à leurs niveaux d’avant la crise. De plus, le maire de Banja Luka a précisé que l’année électorale 2018 a été marquée par deux changements ayant entraîné des réductions majeures du budget de la ville : la modification de la politique d’accises au niveau de l’État et la modification relative à l’impôt sur le revenu au niveau des Entités. Cette réduction significative du budget local (2018 : -1,4 million BAM, 2019 (prévision) : -1 million BAM) aura des effets négatifs sur les projets et la passation de marchés. Ces changements ont semble-t-il été adoptés au moyen d’une procédure d’urgence, ce qui n’a pas permis la tenue de consultations. Dans les quatre prochaines années, la loi annoncée de la Republika Srpska sur le financement des collectivités locales définira des structures garanties et stables.
Trois catégories de communes peuvent être distinguées en Republika Srpska, selon leur situation budgétaire :
- Les villes et autres grandes collectivités locales ont des budgets stables, mais connaissent parfois des problèmes de surinvestissement ;
- Les petites collectivités locales ont des budgets beaucoup plus modestes et connaissent souvent des problèmes de recettes. En règle générale, ces villes secondaires sont en déclin et « ont de moins bons résultats que les zones rurales sur presque tous les indicateurs économiques »[20] ;
- Les petites collectivités locales (5 000-20 000 habitants) ne sont pas nécessairement pauvres, en particulier lorsqu’elles ont la possibilité d’exploiter des ressources naturelles (mines, eau, forêts) qui, combinées à d’autres ressources, garantissent leur stabilité budgétaire. Une part importante de la population réside encore dans ces zones rurales (environ 60 %).
Deux exemples illustrent la situation : Sarajevo-Est en tant que ville secondaire – de facto – (bien que juridiquement la capitale de la Republika Srpska) et la capitale – de facto – de la Republika Srpska, Banja Luka.
- Le budget de Sarajevo-Est est composé pour 26 % de recettes d’impôts directs et indirects et pour 74 % de recettes propres, c’est-à-dire générées dans ou par la collectivités locales (par exemple pour la délivrance de licence ou la vente de terrains). Les ressources proviennent principalement (2/3) des impôts indirects, tandis que les taxes et redevances locales (sur les biens fonciers, les services collectifs et le tourisme) en constituent environ un tiers. Le budget municipal est stable, avec un niveau d’endettement actuel de 8 % (le maximum autorisé est de 18 %). Chaque année, un excédent budgétaire limité est utilisé pour les services. En 2004, le montant total du budget était de 15 millions BAM (environ 7,5 millions d’euros) ; en 2012, il était de 50 millions BAM (25 millions d’euros). Toutefois, d’après le maire, il faudrait près de trois fois ce montant pour assumer toutes les tâches.
- Le budget annuel de Banja Luka est de 132 millions BAM (60 millions d’euros), dont un tiers provient des impôts indirects (40 millions BAM / 20 millions d’euros) et 50 % de taxes locales. Les dépenses incluent les salaires (27 %), l’administration de la ville, les crèches, les équipements sportifs, l’approvisionnement en eau et les entreprises locales. Un tiers (environ 50 millions BAM) est consacré aux dépenses d’investissement.
La structure des ressources financières de la Fédération de Bosnie-Herzégovine est également complexe. Les recettes proviennent principalement des impôts indirects (environ 60-70 %), tandis que les impôts directs, versés pour la plupart aux cantons et aux communes, ne représentent qu’une petite portion du budget de la Fédération de Bosnie-Herzégovine. Des fonds supplémentaires proviennent de l’emprunt (voir ci-dessous). Pour ce qui concerne les communes de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, 30 % de leur budget provient des impôts indirects, 9 % (en moyenne) des impôts directs et plus de 11 % de la taxe foncière, le reste étant constitué de dotations et transferts des autorités centrales et d’autres sources de recettes. Les associations demandent que soit adoptée une loi de la Fédération de Bosnie-Herzégovine sur le financement des collectivités locales. Un projet a déjà été élaboré, mais un groupe de travail doit encore être établi (après la formation du gouvernement de la Fédération de Bosnie-Herzégovine).
Le district de BrÄko lève des impôts locaux (environ 60 millions d’euros) et reçoit une part de la TVA et des impôts indirects (distribuée chaque mois). Sa situation budgétaire est jugée stable. Une part de 3,55 % est garantie au district, en vertu de la législation et d’une décision du BHR pendant les cinq premières années, et actuellement en vertu d’un accord informel. Le district n’a quasiment pas d’emprunts ni de dettes. Un tiers du budget (35 millions d’euros) est dépensé en salaires, y compris pour le système judiciaire et dans le secteur de l’éducation.
Procédures budgétaires
Les compétences du ministère des Finances de Republika Srpska sont définies par la loi sur l’administration de la République (articles 18 et 34) et par l’article 7 de la loi de Republika Srpska sur la procédure fiscale. L’élaboration du budget de la Republika Srpska s’appuie sur le Document de budget-cadre présenté par le Gouvernement de la Republika Srpska pour une période de trois ans, qui définit les politiques et priorités (conformément à la loi de la Republika Srpska sur le système budgétaire). Ce document constitue un avant-projet de budget pour l’année suivante et contient des plafonds de dépenses contraignants pour toutes les entités budgétaires.
La Republika Srpska a conduit ces dernières années une série de réformes budgétaires en coopération avec les institutions internationales, en vue de renforcer l’administration et la planification en matière de finances publiques. La Republika Srpska est passée d’un processus traditionnel de planification budgétaire aux principes d’une planification basée sur des programmes définis en termes d’objectifs politiques et de résultats attendus.
D’après le Gouvernement de la Republika Srpska, son ministre des Finances ne donne pas aux collectivités locales des directives budgétaires sur les priorités, les programmes, les politiques, etc. De telles directives sont déjà présentes dans la législation : la loi de Republika Srpska sur le système budgétaire (OG RS, numéros 121/12, 52/14, 103/15 et 15/16), le Document de budget-cadre, la loi de Republika Srpska sur l’emprunt, l’endettement et les garanties (OG RS, numéros 71/12, 52/14 et 114/17), la loi de Republika Srpska sur l’autonomie locale (OG RS, 97/16), la loi sur la responsabilité budgétaire (OG RS, numéros 94/15 et 62/18), et par les Décision sur l’exécution des budgets des collectivités locales.
Après l’élaboration du projet de budget par les communes, le ministère des Finances (MdF) de la Republika Srpska adopte des recommandations au sujet du projet, par exemple sur la masse salariale, les recettes indirectes (partagées) ou l’allocation de ressources suffisantes pour le service de la dette (si le plafond de l’emprunt est dépassé). Les communes sont tenues de suivre ces recommandations, mais les conseils adoptent le budget et la responsabilité repose sur le maire (qui prend la décision en dernier ressort). Des rapports trimestriels sur l’exécution des budgets doivent être soumis au ministère des Finances. D’après le MdF, seulement 1 % des recommandations ne sont pas suivies. Dans ce cas, le MdF saisit l’inspection budgétaire afin d’examiner pourquoi elles n’ont pas été suivies.
La procédure budgétaire de la Fédération de Bosnie-Herzégovine est similaire : le ministère des Finances de la Fédération doit donner un avis sur le volet recettes des budgets des cantons et des collectivités locales avant leur adoption. Dans cet avis non contraignant, le ministère indique si les directives et projections ministérielles ont été respectées par la collectivité locale dans son projet de budget. Un Organe de coordination budgétaire, composé de représentants des ministères des Finances de la Fédération et des dix cantons, se réunit au moins deux ou trois fois par an. Il comprend également un représentant de l’Association des pouvoirs locaux de la Fédération de Bosnie-Herzégovine.
Biens municipaux
Chaque commune possède ses propres biens. Des problèmes se sont posés concernant les biens militaires (anciennement JNA) et le territoire alentour, qui n’était pas enregistré au cadastre. Un autre problème concerne les terrains constructibles, du fait que l’urbanisme est souvent une compétence partagée entre la collectivité locale, le canton et l’Entité. En 2003, le Haut Représentant a imposé au niveau de l’État un plan d’aménagement sur les terrains constructibles, lesquels sont de la responsabilité des communes. Les cantons s’y sont opposés.
Le cadastre est une institution relevant de l’Entité. Toutefois, il est très surprenant qu’une collectivité locale doive payer pour obtenir des informations dont elle a besoin pour ses propres politiques publiques (notamment d’aménagement du territoire). Une décentralisation du cadastre pourrait être envisagée.
La Bosnie-Herzégovine est riche en ressources naturelles (notamment : eau, forêts, mines). Les droits de propriété sont de la compétence des deux Entités, dont les ministères sont responsables de la gestion des ressources naturelles. En Fédération de Bosnie-Herzégovine, cette responsabilité est aussi partagée avec les ministères des cantons, qui sont accusés de s’ingérer fortement dans cette gestion et d’entraver l’utilisation des bénéfices. Les communes reçoivent une partie des revenus découlant de l’exploitation par des entreprises ou concessions publiques. Les Associations de collectivités locales affirment que celles-ci devraient être autorisées à délivrer des concessions dans 14 domaines.
De l’avis des rapporteures, les ressources naturelles devraient appartenir aux communes. En 2002, la Fédération de Bosnie-Herzégovine a adopté une loi sur les forêts, qui a transféré la gestion des forêts aux ministères de canton (en Republika Srpska, il existe un service spécifique des forêts au sein du ministère de l’Agriculture, des Forêts et de la Gestion des eaux). En 2009, cependant, la Cour constitutionnelle de la Fédération a annulé cette loi au motif qu’elle constituait une violation de la Charte et de la loi de la Fédération sur les principes de l’autonomie locale. À ce jour, aucune nouvelle loi n’a été adoptée au niveau de la Fédération de Bosnie-Herzégovine. Aussi huit cantons ont-ils adopté leur propre législation à ce sujet. De l’avis des rapporteures, la législation relative aux forêts devrait être adoptée afin d’appliquer la décision de la Cour constitutionnelle.
En Republika Srpska, les ministères considèrent que les ressources financières dont disposent les collectivités locales sont conformes aux responsabilités qu’elles doivent assumer. Lorsque les ressources financières ne sont pas suffisantes, les collectivités locales effectuent un audit destiné à identifier des solutions pour remédier à cette situation. Par ailleurs, six villes se partagent 70 % des biens, ce qui expliquent qu’elles ne soient pas endettées. Les controverses au sujet des biens municipaux sont relativement fréquentes. Les communes sont en conflit avec des écoles et d’autres institutions, ainsi qu’avec des coopératives (qui gèrent d’immenses terrains agricoles) concernant la propriété de biens qui étaient anciennement publics.
Les rapporteures considèrent que les exigences énoncées à l’article 9, paragraphes 1 et 2, ne sont pas respectées. Elles s’inquiètent du manque de ressources financières suffisantes et proportionnées aux tâches que les collectivités locales doivent exercer.
Les rapporteures suggèrent en outre de suivre la situation législative dans les deux Entités : tandis qu’en Republika Srpska une loi sur le financement des collectivités locales sera adoptée dans les prochaines années, instaurant des structures sures et stables, en Fédération de Bosnie-Herzégovine un groupe de travail doit encore être créé afin d’examiner le projet de loi de la Fédération sur le financement des collectivités locales. Les rapporteures appellent les autorités compétentes à veiller à ce que cette législation nécessaire soit adoptée le plus tôt possible, afin d’améliorer la situation financière des collectivités locales des deux Entités et de garantir la conformité avec l’article 9, paragraphes 1 et 2, de la Charte.
Par ailleurs, une plus grande diversité des sources de revenus des collectivités locales de Bosnie-Herzégovine, en particulier pour les petites communes, semble indispensable pour que la situation soit conforme à l’article 9.4.
[18] Chiffres provenant de l’Initiative pour la gouvernance locale, La gouvernance locale en Bosnie-Herzégovine, Rapport sur les consultations d’une commission conjointe sur la gouvernance locale, juin 2018, p. 18.
[19] Initiative pour la gouvernance locale, La gouvernance locale en Bosnie-Herzégovine, Rapport sur les consultations d’une commission conjointe sur la gouvernance locale, juin 2018, p. 18.
[20] Initiative pour la gouvernance locale, La gouvernance locale en Bosnie-Herzégovine, Rapport sur les consultations d’une commission conjointe sur la gouvernance locale, juin 2018, p. 18