France

France - Rapport de monitoring

Date de la visite de monitoring : du 7 au 9 mars 2023 et du 5 au 7 septembre 2023
Date d'adoption du rapport: 27 mars 2024

Le présent document est le premier rapport sur l’état de la démocratie locale et régionale en France depuis la ratification de la Charte par ce pays en 2007. Les rapporteurs notent d’abord un progrès, globalement, dans le processus de décentralisation en France. Le rapport souligne en outre les efforts déployés par la France dans le domaine de la coopération entre collectivités territoriales, notamment en ce qui concerne la coopération transfrontalière. Est aussi constatée une plus grande autonomie financière de ces collectivités grâce à une part croissante des ressources propres dans leur budget. En ce qui concerne la réforme territoriale, les rapporteurs se montrent en revanche préoccupés par l’absence de véritable consultation des collectivités locales avant le vote de la loi entrée en vigueur le 1er janvier 2016, ainsi que par le déséquilibre financier entre les collectivités territoriales dû à un système inadapté de péréquation et à une recentralisation au niveau national des décisions fiscales locales.

 

Par conséquent, il est recommandé aux autorités de revoir le processus de consultation des représentants directs des collectivités locales pour toutes les décisions les concernant (article 4), et notamment celles ayant trait à leurs frontières territoriales (article 5). Il est par ailleurs recommandé à la France de revoir son système de péréquation afin de le rendre plus équitable, de décentraliser à nouveau les décisions relatives aux assiettes d’impositions locales ainsi que de clarifier les provenances des ressources financières des collectivités locales. Enfin, le rapport appelle les autorités françaises à clarifier la répartition des compétences entre les différents niveaux d’autorités locales pour éviter tout chevauchement, et à poursuivre l’augmentation de la part des ressources propres dans le budget des collectivités locales.

 

legend
Article ratifié Ratifié avec réserve(s) Non ratifié
Conformité Conformité partielle Non conformité A déterminer
Tout déplier
Tout replier
Article 2
Fondement constitutionnel et légal de l'autonomie locale - Article ratifié

Le principe de l'autonomie locale doit être reconnu dans la législation interne et, autant que possible, dans la Constitution.


 En ce qui concerne cet article, il convient d’abord d’examiner si le principe de l’autonomie locale est reconnu dans la Constitution française, comme l’exige (« autant que possible ») cette disposition de la Charte. La réponse est positive puisque la Constitution française reconnaît explicitement le principe de l’autonomie locale à l’article 72.

 

 D’une part, la Constitution énumère les collectivités territoriales existant dans la République
(dans la terminologie française, les « collectivités territoriales ») : il s’agit des communes, des départements, des régions, des collectivités à statut particulier et des collectivités d’outre-mer. D’autre part, la Constitution proclame que toutes ces entités jouissent de l’autonomie.

 

 Cependant, la Constitution française utilise une terminologie spécifique. En effet, au lieu de parler d’« autonomie locale », la Constitution utilise le terme de « libre administration »[28].

 

 Cette terminologie, issue de la tradition politique française, diffère dans une certaine mesure de la version officielle de la Charte en français, où l’expression « autonomie locale » est utilisée dans l’ensemble du document. Cependant, cette différence de terminologie juridique n’a pas de répercussion significative, puisque le principe de « libre administration » est unanimement compris en France dans le cadre juridique, judiciaire et universitaire comme un équivalent plein et entier du terme plus largement utilisé « autonomie locale »[29]. En tout cas, il s´agit d´une autonomie administrative et non pas d´une
« autonomie politique »

 

 Il convient donc d’examiner la législation ordinaire. À cet égard, le texte législatif le plus important est la codification susmentionnée réalisée en 1996 (« Code général des collectivités territoriales »),
qui a été modifiée et mise à jour à plusieurs reprises. Il s’agit du texte le plus important et le plus détaillé sur l’administration locale et régionale en France. Cette codification législative reconnaît implicitement le principe de la libre administration des entités territoriales à l’article L1111-1 : « Les communes, les départements et les régions s’administrent librement par des conseils élus ».

 

 Par conséquent, la Constitution française et le principal instrument législatif national relatif aux entités territoriales locales et régionales proclament le principe de l’autonomie en tant qu’élément constitutif de l’organisation territoriale de la République française.

 

 Compte tenu de ce qui précède, les corapporteurs considèrent que la France respecte pleinement l’article 2 de la Charte.

Article 3.1
Concept de l'autonomie locale - Article ratifié

Par autonomie locale, on entend le droit et la capacité effective pour les collectivités locales de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité et au profit de leurs populations, une part importante des affaires publiques.


 Afin de déterminer si l’article 3, paragraphe 1, de la Charte est respecté dans un pays donné, il faut tout d’abord identifier les compétences, les pouvoirs, les services et les fonctions qui peuvent
(ou doivent) être assurés et exécutés par les collectivités locales, et ensuite vérifier si ce domaine d’action, ce « groupe » de compétences, est suffisant ou « important » à l’aune des normes européennes les plus communes.

 

 Le fait qu’il existe différents types de « collectivités territoriales » en France implique qu’une analyse distincte doit être effectuée pour chacune d’elles.

 

Les communes

 

 Les compétences des communes comprennent un nombre important de fonctions publiques et de services locaux dans de nombreux domaines et les communes ont le pouvoir d’adopter des règlements locaux contraignants[30]. Les communes sont des personnes morales de droit public, dotées d’une personnalité juridique pleine et entière et de la capacité de conclure tous types d’opérations juridiques.

 

 Il est important de souligner que les communes sont les seules entités territoriales qui bénéficient de la clause générale de compétence. Cette clause leur permet de gérer toutes les questions d’intérêt local et de prendre des initiatives pour le bien-être de leurs résidents, même si la compétence nécessaire pour ce faire n’est pas explicitement accordée aux communes dans la loi (il est en effet exigé que cette compétence ne soit pas attribuée à l’État ou à une autre collectivité territoriale).
Par conséquent, les communes peuvent prendre des mesures et des initiatives dans tous les domaines considérés comme « locaux » et au profit des résidents locaux, même s’ils ne sont pas explicitement mentionnés dans la législation[31].

 

 Outre cette compétence générale, un grand nombre de lois et de réglementations ministérielles portant sur différents secteurs de l’action publique ont attribué des pouvoirs spécifiques aux communes dans des domaines très divers. Ces pouvoirs peuvent être qualifiés de « compétences explicites ». Par conséquent, il convient d’examiner ces normes juridiques afin d’identifier les compétences des communes. Les compétences, pouvoirs et services les plus importants sont les suivants :

 l’urbanisme (approbation des plans d’urbanisme locaux, sous réserve des compétences d’autres organismes) ;

 le logement ; la délivrance des permis de construire ;

 les transports publics urbains ; les infrastructures de transport public ;

 la délivrance des permis et licences, par exemple celle des licences pour les petites entreprises telles que les lieux de restauration et de divertissement (« Horeca ») ;

 la lutte contre les incendies ;

 les cimetières et les services funéraires ;

 les services sociaux et l’assistance sociale, notamment par l’intermédiaire des centres communaux d’action sociale (CCAS) ;

 la culture et le patrimoine ;

 le tourisme et le sport (campings, installations sportives) ;

 l’adoption d’arrêtés pour les entreprises et les particuliers, selon les besoins de l’ordre public ;

 la conduite des expropriations et d’autres opérations immobilières concernant les biens immobiliers locaux ;

 la mise en place et la gestion des marchés locaux, des gares routières, des centres culturels, des abattoirs, etc. ;

 la protection de l’environnement : la lutte contre la pollution de l’environnement ;

 les infrastructures de base telles que les routes, les rues, les places et les parcs locaux ;

 la gestion et la protection du domaine public local ; le nettoyage des rues et des espaces publics ;

 la réglementation et le contrôle de la circulation de véhicules ;

 éducation : la construction et l’entretien des écoles primaires publiques ;

 le pouvoir d’imposer des redevances et des prélèvements pour la prestation de services locaux ;

 le pouvoir d’imposer des amendes et des sanctions administratives aux auteurs d’actes répréhensibles, dans des domaines spécifiques tels que la police, la circulation automobile, etc.

 

 En dehors de ces tâches et compétences propres des communes, celles-ci collaborent avec les autres niveaux d’autorité publique dans certains domaines. Par exemple, (a) les communes collaborent avec l’État dans plusieurs domaines tels que l’aménagement du territoire, le développement économique, social et culturel, l’éducation, la promotion de la santé et la protection de l’environnement, notamment la lutte contre le changement climatique ; (b) et elles collaborent avec les départements dans le domaine du social.

 

 D’autre part, les communes peuvent également exercer des pouvoirs ou des responsabilités « étatiques » sur le territoire local, comme la célébration des mariages, la délivrance des passeports, etc.

 

 Il est important de noter à ce stade que, dans de nombreux cas, les communes n’exercent pas leurs compétences propres par elles-mêmes (« directement »), mais au moyen d’organismes de coopération intercommunale (« CIC ») (intercommunalités), dont les communes participantes se regroupent et mutualisent leurs ressources. Cette organisation est particulièrement fréquente dans des domaines tels que l’approvisionnement en eau des ménages et des entreprises locales, les transports, la collecte et la gestion des déchets, l’éducation, etc.

 

 Il est communément admis que le domaine d’activité des communes n’a pas été sensiblement élargi ces dernières années. De plus, pendant la visite, de nombreux interlocuteurs ont souligné auprès des corapporteurs qu’il existe une tendance manifeste de l’État à « recentraliser » des compétences et des domaines de responsabilité, de manière abusive, indirecte ou subtile.

 

Les départements

 

 Il convient de noter que les départements ont une double nature : d’une part, ils sont des entités territoriales à part entière et ils sont considérés comme des collectivités locales de deuxième niveau ; d’autre part, ils constituent une forme ou une subdivision du territoire de la République à de nombreuses fins administratives de l’État : répartition géographique des préfets et autres organes de l’administration déconcentrée de l’État, circonscriptions électorales, etc. Les départements ont été créés par les législateurs de la Révolution française (1789) pour diviser de manière « rationnelle » et symétrique le territoire français, avec des noms qui ne suivaient pas la toponomie traditionnelle des régions et collectivités naturelles du pays.

 

 Les départements en tant qu’entités territoriales ont fait l’objet de nombreuses propositions et spéculations concernant leur dissolution ou leur suppression éventuelles, afin de clarifier la mosaïque complexe de l’administration locale/régionale existant en France (communément appelée « le mille-feuille territorial »). Toutefois, jusqu’à présent, ces initiatives n’ont pas abouti à un résultat significatif.

 Contrairement aux communes, les départements ne jouissent pas de la clause de compétence générale. Par conséquent, ils ne peuvent exercer que les compétences qui leur sont clairement et explicitement attribuées par la législation. Les compétences des départements ont été modifiées et clarifiées en 2015 par une loi appelée la loi « NOTRe ». En particulier, ce texte a souligné et renforcé le rôle des départements dans la promotion de la cohésion territoriale et dans le domaine de la solidarité sociale.

 

 Les principaux domaines de responsabilité des départements sont les suivants :

 

(1) l’action sociale et les services sociaux. L’aide sociale aux groupes et aux personnes vulnérables est une mission essentielle des départements, dont le coût représente en moyenne plus de la moitié de leur budget de fonctionnement. Cette activité concerne principalement :

 

 les enfants : aide sociale à l’enfance, protection maternelle et infantile, adoption, soutien aux familles en difficulté financière, etc. ;

 les personnes handicapées : politiques d’hébergement et d’intégration sociale, prestation de compensation du handicap, centres pour personnes handicapées ;

 les personnes âgées : création et gestion de maisons de retraite, politique de maintien à domicile des personnes âgées ;

 les prestations sociales légales : gestion de dispositifs tels que le revenu de solidarité active (RSA), dont le montant est fixé au niveau national.

(2) les collèges (premier degré de l’enseignement secondaire)

(3) les infrastructures telles que les routes départementales.

 

 En outre, et en vertu d’une loi de 2014, les départements peuvent également gérer, par délégation de l’État, les initiatives et les actions relevant du Fonds social européen.

 

Les régions

 

 Les régions, créées en 1982, sont la plus forme la plus récente d’entités territoriales en France. Elles sont principalement compétentes pour la gestion des fonds régionaux européens, le développement économique de la région, les routes régionales, etc.

 

 Contrairement aux communes, les régions françaises ne jouissent pas non plus de la clause de compétence générale. Actuellement, les principales compétences des régions concernent les domaines suivants : le développement économique, l’aménagement du territoire, le développement numérique, la formation professionnelle, la gestion des lycées et les transports[32]. En particulier, les régions :

 contribuent au développement économique, social et culturel de la région ;

 rédigent et approuvent différents types de plans économiques. Par exemple, il existe dans chaque région un schéma régional de développement économique et d’innovation ;

 gèrent les fonds régionaux européens ;

 décident de l’octroi d’aides aux entreprises de la région ;

 participent à la coordination des services publics de l’emploi ; par exemple, elles élaborent des stratégies coordonnées pour l’emploi en collaboration avec le préfet ;

 approuvent les plans régionaux de prévention et de gestion des déchets, y compris les objectifs en matière de réduction, de recyclage et de valorisation des déchets ;

 exercent un large éventail de compétences dans le domaine de la gestion de l’eau ;

 organisent la mobilité interurbaine ;

 élaborent des plans régionaux de développement durable.

 

 Les régions ont également été au centre du débat politique français et leurs limites territoriales ont été largement redessinées en 2015. À la suite de cette réforme majeure, les régions françaises sont désormais plus grandes en superficie, mais elles n’ont pas été sensiblement revitalisées ou « revalorisées » en termes de compétences et de montant des dépenses. Par rapport à la « régionalisation » en vigueur dans des pays comme l’Italie ou l’Espagne (sans parler des länder allemands ou autrichiens), le modèle français constitue une forme beaucoup plus atténuée de décentralisation régionale.

Les collectivités d’outre-mer

 

 Les territoires français d’outre-mer (départements, régions et collectivités à statut particulier) ont, en règle générale, les mêmes types de compétences que leurs « homologues » de la France métropolitaine, bien que certains d’entre eux bénéficient de particularités (par exemple, l’île de la Réunion).

 

 Après avoir présenté les compétences des différents types de collectivités territoriales, il convient maintenant de déterminer si cette part des compétences est ou non « importante ». Dans le cadre d’un exercice de suivi comme celui-ci, une tâche délicate pour les corapporteurs consiste à déterminer si, dans le pays concerné, les autorités locales et régionales « règlent et gèrent une part importante des affaires publiques », l’adjectif « importante » étant la question la plus critique, d’autant plus que la Charte elle-même (ou l’exposé des motifs) ne fournit pas de normes claires quant à la part des affaires publiques qui est censée être « importante ».

 

 Dans le cas de la France il existe de nombreuses entités locales et régionales, sans parler des organes non territoriaux (organes de CIC) qui gèrent également un ensemble de responsabilités de plus en plus important. Si l’on évalue l’ensemble de ces pouvoirs, compétences et responsabilités de manière conjointe ou cumulative, il est clair pour les corapporteurs que l’étendue, le type et la pertinence des affaires qui, en France, sont traitées par des entités et des administrations infranationales sont « importants », au regard des normes et situations les plus répandues en Europe.

 

 Les corapporteurs considèrent que les collectivités locales/régionales françaises exercent et mettent actuellement en œuvre, de manière conjointe ou cumulative, des compétences et des pouvoirs que l’on peut qualifier d’«importants», même s’il existe de nombreuses différences, par le nombre et l’étendue, entre les compétences des communes et celles des départements, lesquelles sont nettement moins importantes.

 

 Compte tenu de ce qui précède, les corapporteurs estiment que l’article 3.1 est respecté en France.

Article 3.2
Concept de l'autonomie locale - Ratifié avec réserve(s)

Ce droit est exercé par des conseils ou assemblées composés de membres élus au suffrage libre, secret, égalitaire, direct et universel et pouvant disposer d'organes exécutifs responsables devant eux. Cette disposition ne porte pas préjudice au recours aux assemblées de citoyens, au référendum ou à toute autre forme de participation directe des citoyens là ou elle est permise par la loi.


 Concernant cette disposition, il convient d’analyser deux aspects différents du système français des collectivités locales : d’une part, l’organisation de base des collectivités locales et régionales et son origine démocratique ; d’autre part, les modalités de participation des citoyens à la gestion des affaires locales.

 

Il convient également de noter que, lorsque la France a ratifié la Charte en 2007, elle a fait une déclaration selon laquelle « la République française considère que les dispositions de l’article 3, paragraphe 2, doivent être interprétées comme réservant aux États la faculté d’instituer la responsabilité, devant l’organe délibérant d’une collectivité territoriale, de l’organe exécutif dont elle est dotée ».

 

Les principaux organes des collectivités locales et régionales

 

Les communes

 

 Les principaux organes des communes sont (a) le conseil, (b) le maire et (c) les adjoints au maire. Ils sont présentés sommairement ci-dessous.

 

Le conseil municipal

 

 Le conseil est l’organe décisionnel de la commune et son organe délibérant. Les conseillers municipaux sont élus au suffrage universel direct le même jour pour toutes les communes (qui diffère du jour des élections pour les départements et les régions). En plus d’être direct, le suffrage « est toujours universel, égal et secret » (article 3 de la Constitution). Toute personne de nationalité française âgée de plus de 18 ans peut voter à ces élections.

 

 Outre cette exigence fondamentale, la Constitution française dispose qu’en vertu du droit de l’Union européenne, le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales est également accordé aux citoyens de l’Union résidant en France. Toutefois, ces citoyens ne peuvent pas exercer les fonctions de maire ou d’adjoint au maire (article 88-3).

 

 Les membres du conseil municipal sont élus pour un mandat renouvelable de six ans dans le cadre d’un scrutin à deux tours. Les dernières élections municipales (dont le second tour a été reporté en raison de la crise sanitaire) se sont tenues en mars et juin 2020. Les prochaines auront donc lieu
en 2026.

 

 Le vote n’est pas obligatoire. Contrairement à d’autres pays, les électeurs ne sont pas inclus « d’office » par l’administration électorale dans un « recensement » ou un registre électoral universel : les citoyens doivent s’inscrire eux-mêmes sur une telle liste. Ce fait ne doit pas être oublié lorsqu’on évalue les taux de participation officiels aux différentes élections qui ont lieu en France. Ainsi, le taux de participation au second tour des dernières élections municipales tenues en 2020 était de 41,6 %. Dans le cas des régions, le taux de participation était encore plus faible : 34,69 % au second tour des élections régionales de 2021.

 

 Ces chiffres sont un sujet d’inquiétude pour les responsables politiques français, surtout si l’on considère qu’ils ne sont pas calculés par rapport au nombre total des électeurs de plus de 18 ans, mais uniquement par rapport au nombre des citoyens qui se sont effectivement inscrits sur les listes électorales. Étant donné qu’un certain nombre de personnes ne se sont même pas inscrites sur ces listes, les taux de participation sont en réalité beaucoup plus faibles.

 

 Selon le « Code général » des collectivités locales, le nombre des conseillers municipaux varie en fonction de la population de la commune : dans les petites communes de moins de 100 habitants, seuls sept conseillers sont élus ; leur nombre augmente en conséquence : par exemple, les communes de 1 500 à 2 499 habitants comptent 19 conseillers ; les communes de 30 000 à 39 999 habitants en comptent 39 et les grandes villes de plus de 300 000 habitants en ont 69.

 

 Du fait du nombre élevé de communes en France, combiné avec le nombre relativement élevé d’élus dans chaque collectivité locale, il y a plus de 500 000 élus locaux en France, ne serait-ce qu’au niveau municipal.

 

 Le conseil municipal est convoqué et présidé par le maire ou, en son absence, par la personne qui le remplace (habituellement un adjoint au maire).

 

 La compétence primordiale du conseil est de régler « par ses délibérations les affaires de la commune », ce qui constitue une forme de clause de compétence générale. Par conséquent, le conseil municipal est le lieu « naturel » pour prendre des décisions locales.

 

 En outre, les compétences les plus importantes du conseil municipal sont les suivantes:

 

·       approuve le plan stratégique de la commune, le programme des travaux et le programme d’investissement ;

·       approuve le budget municipal ;

·       gère les biens, les installations et les infrastructures de la commune ;

·       soutient le développement économique de la collectivité locale ;

·       met en place et supprime les services publics locaux ;

·       accorde une aide financière aux associations locales ;

·       donne son avis chaque fois que d’autres autorités ou l’État le demandent, conformément à la loi ;

·       émet des vœux sur tous les objets d’intérêt local ;

·       décide de la création et de l’implantation des écoles et classes élémentaires et maternelles d’enseignement public ; 

·       procède à la dénomination des voies et lieux-dits ;

·       arrête le compte administratif qui lui est annuellement présenté par le maire ;

·       entend, débat et arrête les comptes de gestion des receveurs ;

·       désigne parmi ses membres ceux qui siégeront au sein des organes de coopération intercommunale auxquels la commune a adhéré pour certains établissements publics de coopération intercommunale

 

 Un élément important de l’organisation locale, du point de vue de l’article 3.1 de la Charte, est la responsabilité du maire devant le conseil municipal. Ceci est particulièrement pertinent à la lumière de la déclaration faite par la République française au moment de la ratification de la Charte.

 

 À cet égard, le conseil local n’a pas le pouvoir explicite de révoquer son maire et, inversement, le maire ne peut pas dissoudre le conseil municipal. Cela étant, il convient de vérifier si le maire est « responsable » devant le conseil, au sens de la Charte.

 On pourrait considérer que, selon une lecture stricte et littérale, le maire français n’est pas « responsable » devant le conseil au sens où il ne peut pas être révoqué par une motion de censure ou un mécanisme similaire (comme c’est le cas dans d’autres pays européens).

 

 Selon une interprétation plus large, cependant, le maire français est bien responsable devant le conseil. Tout d’abord, le maire est responsable devant le conseil municipal d’une manière générale : selon l’article L2122-23 du « Code général », « le maire doit rendre compte à chacune des réunions obligatoires du conseil municipal ». Cette obligation est déjà une forme de responsabilité. De plus, les comptes et la gestion financière du maire sont soumis à l’approbation du conseil, ce qui constitue une autre expression claire de la responsabilité.

 

 Dans le cadre de ces relations, le conseil peut émettre des avis négatifs à l’égard d’une action ou d’une initiative du maire. En outre, le conseil peut également critiquer de manière plus générale l’action du maire, à tel point que, dans des cas extrêmes, le conseil peut prononcer un blâme formel à l’égard du maire. Une situation de blocage politique dans laquelle le conseil refuse systématiquement de voter les propositions du maire peut également conduire ce dernier à démissionner.

 

 Dans des cas extrêmes, le conseil peut amener le gouvernement central à organiser de nouvelles élections en cas d’impasse politique au niveau municipal (par exemple si un grand nombre de conseillers locaux démissionnent). Dans ce cas, le conseil issu des nouvelles élections pourrait désigner un nouveau maire.

 

Le maire

 

 Le maire est le principal organe exécutif.  Il est élu par le conseil municipal au scrutin secret et à la majorité absolue lors des deux premiers tours et à la majorité relative au troisième tour. Le maire est élu pour un mandat de six ans. Il s’agit généralement de la personne qui a mené la liste de candidats ayant obtenu la majorité des voix aux élections municipales, mais cette pratique ne correspond pas à une règle écrite et une autre personne peut parfois être élue maire par le conseil municipal. Seuls les conseillers qui ont la nationalité française peuvent être élus maire ou adjoint au maire, ou exercer l’une ou l’autre de ces fonctions, même temporairement.

 

 Il est souvent considéré que, dans le modèle français, le maire est puissant, probablement l’un des plus puissants en Europe[33]. Bien qu’il ne soit pas élu directement par les résidents locaux, le maire est un responsable politique très puissant, le « chef » visible de l’administration locale et le dirigeant moral et politique de la collectivité locale.

 

 Le maire, bien qu’étant le plus haut responsable, peut déléguer ses pouvoirs à d’autres élus locaux, tels que les adjoints au maire ou les conseillers municipaux dotés d’un mandat spécial, ou à des hauts fonctionnaires locaux subordonnés, tels que le directeur général des services ou le directeur général de la commune.

 

 Le maire dispose aussi d’un pouvoir politique important du fait qu’il contrôle le budget municipal et assure la gestion du personnel. Il nomme et révoque tous les personnels administratifs et autres employés municipaux à l’exception de certains fonctionnaires titulaires.

 

 Une caractéristique traditionnelle du système local français est que le maire est, d’une part, le principal responsable politique de la commune et, d’autre part, un agent de l’État exerçant des fonctions pour son compte.

 

 En tant que représentant de l’État, le maire exerce des fonctions telles que la célébration des mariages ou la tenue du registre d’état civil (le maire et ses adjoints sont des officiers d’état civil). Cette organisation particulière est généralement appelée en France le système de la « double casquette ».

 

 En tant que premier responsable politique local de la commune, le maire est le représentant légal naturel de l’autorité locale et jouit d’une compétence générale pour mettre en œuvre et exécuter les décisions, les plans et les programmes approuvés par le conseil. Outre ce mandat général,
le « Code général » énumère certaines des compétences du maire :

 conserver et administrer les propriétés de la commune et de faire, en conséquence, tous actes conservatoires de ses droits ;

 gérer les revenus locaux ;

 surveiller les établissements communaux et la comptabilité communale ;

  préparer le budget de la commune et le proposer pour approbation par le conseil ;

 ordonnancer les dépenses locales ;

 décider des investissements ;

 administrer les propriétés de la commune ;

 diriger les travaux communaux ;

 gérer et entretenir la voirie communale ;

 souscrire les marchés, passer les baux des biens et les adjudications des travaux communaux dans les formes établies par les lois et règlements ;

 signer les actes de vente, échange, partage, acceptation de dons ou legs ;

 représenter la commune devant toute autre autorité publique ou dans le cadre d’une procédure judiciaire ;

 présider les réunions du conseil municipal et mettre en œuvre ses décisions et résolutions.

 

 Sous l’autorité du représentant de l’État dans le département (le préfet), le maire est chargé de la publication et de l’exécution des lois et règlements, de l’exécution des mesures de sûreté générale et de l’exercice des attributions spéciales qui lui sont confiées par la loi.

 

Les adjoints au maire

 

 Le conseil municipal désigne également des adjoints au maire. Le conseil municipal détermine le nombre des adjoints au maire, qui ne peut excéder 30 % de l’effectif légal du conseil municipal.
Les adjoints au maire remplacent le maire lorsque celui-ci ne peut pas exercer ses fonctions, ou reçoivent des mandats ou des délégations spécifiques. Bien que le maire soit seul chargé de l’administration locale, il peut, sous sa surveillance et sa responsabilité, déléguer par arrêté une partie de ses fonctions à un ou plusieurs de ses adjoints et à des membres du conseil municipal.

 

 En outre, un adjoint au maire peut se voir confier la charge spécifique d’une partie ou d’un quartier de la commune. Dans ce dernier cas, l’adjoint chargé de quartier connaît de toute question intéressant à titre principal le ou les quartiers dont il a la charge. Il veille à l’information des habitants au sujet des décisions municipales et favorise leur participation à la vie du quartier.

 

Les départements et les régions

 

 L’organisation institutionnelle de base des départements et des régions reflétant largement celle des communes, il n’est pas nécessaire de reproduire la description précédente. Les deux types de collectivités ont un conseil et un président. Le premier est l’organe délibérant et le second, l’organe exécutif. Dans le cas des départements, le conseil est le « conseil départemental », et dans le cas des régions, le « conseil régional ». Comme pour les communes, le nombre de membres de ces conseils dépend de la population de chaque collectivité.

 

 Dans les deux cas, le conseil est l’organe de délibération politique et l’organe de décision suprême. Les conseillers départementaux et régionaux sont élus au suffrage universel direct le même jour pour l’ensemble des départements et des régions qui diffère du jour des élections municipales. Le suffrage est toujours universel, égal et secret. Les conseillers régionaux sont élus au niveau régional, tandis que les conseillers départementaux sont élus au niveau des « cantons », lesquels sont des subdivisions territoriales des départements à des fins purement électorales. Les prochaines élections départementales et régionales sont prévues pour mars 2028.

 

 Les conseillers régionaux et départementaux sont élus pour un mandat de six ans, mais les systèmes électoraux présentent quelques différences : tandis que les conseillers régionaux sont élus au scrutin de liste combinant représentation majoritaire et proportionnelle, dans les départements, une équipe composée d’une femme et d’un homme est élue dans chaque canton au scrutin majoritaire à deux tours.

 

 Dans les départements comme dans les régions, il y a un « président », qui est nommé par le conseil parmi ses membres. Comme pour le maire, le président de département ou de région est généralement le candidat placé en tête de la liste électorale qui a remporté les élections. Comme les maires, les présidents de département et de région sont les principaux responsables exécutifs de leur collectivité et ils exercent, mutatis mutandis, les compétences et pouvoirs parallèles à celles d’un maire. Ils sont responsables devant le conseil, de la même manière que le maire dans une commune.

 

Participation des citoyens à la gouvernance locale et régionale

 La dernière phrase de l’article 3.2 de la Charte dispose que la démocratie représentative locale (telle qu’elle est exercée par les conseils) ne porte pas préjudice au recours aux assemblées de citoyens, au référendum ou à toute autre forme de participation directe des citoyens là où elle est permise par la loi. À ce sujet, il est à noter que la France a effectivement signé et ratifié le Protocole additionnel à la Charte européenne de l’autonomie locale sur le droit de participer aux affaires des collectivités locales du 16 novembre 2009. La signature a eu lieu le 16 novembre 2009 et l’instrument de ratification a été déposé le 1er septembre 2020. Le Protocole additionnel à la Charte est ensuite entré en vigueur dans ce pays le 1er janvier 2021.

 

 La question de la participation des citoyens à la conduite des collectivités locales et régionales revêt une importance constitutionnelle, ce qui n’est pas si courant du point de vue du droit comparé.
La disposition applicable ici est l’article 72-1 de la Constitution française. Différents éléments peuvent être distingués.

 

 Premièrement, la Constitution prévoit le droit de pétition, par lequel les citoyens peuvent demander à une autorité locale/régionale d’examiner une question donnée, de prendre une décision ou d’accomplir une action. Ainsi, la Constitution dispose que la loi fixe les conditions dans lesquelles
« les électeurs de chaque collectivité territoriale peuvent, par l’exercice du droit de pétition, demander l’inscription à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante de cette collectivité d’une question relevant de sa compétence ».

 

 Deuxièmement, la Constitution prévoit également la possibilité d’organiser des référendums locaux, dans les conditions fixées par la loi organique : « Les projets de délibération ou d’acte relevant de la compétence d’une collectivité territoriale peuvent, à son initiative, être soumis, par la voie du référendum, à la décision des électeurs de cette collectivité ».

 

 Troisièmement, une forme spécifique de référendum local est prévue lorsqu’il est envisagé de créer une collectivité territoriale à statut particulier ou de modifier son organisation. Dans ce cas,
« il peut être décidé par la loi de consulter les électeurs inscrits dans les collectivités intéressées ».

 

 Quatrièmement, les électeurs peuvent aussi être consultés concernant la modification des limites des collectivités territoriales peut également donner lieu à la consultation des électeurs dans les conditions prévues par la loi.

 

 Outre ces dispositions constitutionnelles, les lois françaises régissant les différents types de collectivités locales contiennent certaines dispositions en la matière, mais il existe également des éléments et des outils importants dans la législation régissant les relations entre les citoyens et les administrations[34] (en particulier dans le domaine de la transparence) qui s’applique pleinement à toutes les entités locales et régionales.

 

 Pour sa part, le principal outil de participation populaire est clairement le référendum local.
Les référendums ou consultations populaires sont explicitement reconnus et réglementés dans les lois et règlements applicables aux collectivités locales/régionales. Ainsi, le « Code général » régissant le niveau local prévoit des règles sur la question des référendums locaux. Précisément, son article LO1112-1 dispose que « l’assemblée délibérante d’une collectivité territoriale peut soumettre
à référendum local tout projet de délibération tendant à régler une affaire de la compétence de cette collectivité ». Les articles suivants établissent des règles précises sur les référendums locaux, en réglementant leur format, leur organisation, les bulletins de vote, les coûts du référendum, etc.

 

 Différentes restrictions s’appliquent aux référendums locaux : ils ne peuvent être organisés certains jours ou pendant certaines périodes (article LO1112-6 du « Code général »). En outre, une autorité locale/régionale ne peut pas organiser plusieurs référendums locaux sur le même sujet en l’espace d’un an.

 

 Un deuxième mécanisme pertinent pour la participation des électeurs à la conduite des affaires locales est celui des « consultations », qui ont une nature juridique différente et un régime juridique distinct. Contrairement au référendum local, la consultation est menée à l’initiative des électeurs eux-mêmes, qui demandent au conseil local d’organiser une consultation sur toute affaire relevant de la décision de cette assemblée. Dans ce cas, le vote des citoyens est simplement « consultatif », ou non contraignant. Toutefois, dans la pratique, il est difficile pour un conseil d’approuver une décision qui a été explicitement rejetée par les électeurs.

 

 Cette forme de participation citoyenne a été introduite par une loi du 13 août 2004, qui prévoit que « les électeurs d’une collectivité territoriale peuvent être consultés sur les décisions que les autorités de cette collectivité envisagent de prendre pour régler les affaires relevant de la compétence de celle-ci. La consultation peut être limitée aux électeurs d’une partie du ressort de la collectivité, pour les affaires intéressant spécialement cette partie de la collectivité ».

 

 Là encore, le « Code général » fixe des règles précises sur la conduite de ces consultations.
En résumé, il dispose ce qui suit :

 

(a) Dans une commune, un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales et, dans les autres collectivités territoriales, un vingtième des électeurs, peuvent demander que soit inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante de la collectivité l’organisation d’une consultation sur toute affaire relevant de la décision de cette assemblée.

(b) La demande est adressée au maire ou au président de l’assemblée délibérante.

(c) La décision d’organiser la consultation appartient à l’assemblée délibérante de la collectivité territoriale. L’assemblée délibérante de la collectivité territoriale arrête le principe et les modalités d’organisation de la consultation. Sa délibération indique expressément que cette consultation n’est qu’une demande d’avis.

(d) Les électeurs font connaître par oui ou par non s’ils approuvent le projet de délibération ou d’acte qui leur est présenté.

(e) Après avoir pris connaissance du résultat de la consultation, l’autorité compétente de la collectivité territoriale arrête sa décision sur l’affaire qui en a fait l’objet.

 

 Outre l’organisation de référendums et de « consultations », les collectivités locales et régionales peuvent également mettre en place différents mécanismes de participation à la prise de décision concernant les affaires locales. Par exemple, dans certaines villes (comme Paris), il est désormais très à la mode d’organiser des budgets participatifs, par lesquels les résidents d’un quartier ou d’une partie spécifique de la ville peuvent décider démocratiquement quels investissements ou travaux publics doivent être réalisés sur le territoire en question, en les incluant dans le projet de budget qui sera ensuite examiné par le conseil.

 

 Certains groupes sociaux peuvent également être associés à des organes spécifiques de consultation et de prise de décision, par exemple dans le cas des jeunes (conseil des jeunes).
Dans cette optique, la loi dispose qu’une collectivité locale ou un établissement public de coopération intercommunale peut créer un conseil des jeunes chargé de donner son avis sur les décisions relatives à la politique de la jeunesse.

 

 Cet organe peut formuler des propositions d’action. Il doit être composé de jeunes de moins de trente ans qui vivent dans la commune ou sont élèves d’un de ses établissements d’enseignement secondaire. Les modalités de fonctionnement et la composition du conseil sont fixées par une décision de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou de l’établissement public de coopération intercommunale.

 

 Le caractère public des délibérations des conseils locaux et régionaux est un autre élément favorisant la participation. Leurs réunions sont publiques et librement accessibles aux citoyens et à la presse.

 

 Il convient également de mentionner le droit qu’ont les groupes et associations locaux (représentants d’organisations professionnelles et de la société civile, universités, résidents d’un quartier, etc.) de soumettre des propositions au conseil municipal, que celui-ci a alors l’obligation d’examiner. Par conséquent, les citoyens peuvent transmettre directement au conseil leurs préoccupations en tant que résidents locaux, dans des domaines tels que la protection de l’environnement, l’entretien des parcs et des espaces verts, les transports publics, la culture, etc.

 

 Enfin, il est également possible pour les collectivités locales et régionales de réaliser des sondages d’opinion et des enquêtes afin de connaître l’avis des habitants sur les services locaux et sur la gestion des affaires locales.

 

 En résumé, la désignation démocratique des membres des conseils (à tous les niveaux) est claire et indéniable, et les lois garantissent et rendent possible un modèle de participation et d’implication des citoyens dans la gestion des affaires locales et régionales, dont l’intensité peut varier selon les circonstances.

 

 Compte tenu de ce qui précède, les corapporteurs concluent que l’article 3.2 de la Charte est respecté en France.

Article 4.1
Portée de l'autonomie locale - Article ratifié

Les compétences de base des collectivités locales sont fixées par la Constitution ou par la loi. Toutefois, cette disposition n'empêche pas l'attribution aux collectivités locales de compétences à des fins spécifiques, conformément à la loi


 La Constitution française ne précise ni n’énumère les compétences précises des collectivités locales ou régionales. Ces compétences sont plutôt définies dans la législation générale relative aux collectivités locales (désormais codifiée dans le « Code général ») et dans la législation administrative sectorielle (transports, protection de l’environnement, urbanisme et aménagement du territoire, autorisation des activités économiques, éducation, etc).

 

 Par conséquent, et bien qu’il existe un code juridique « général » des règles applicables aux collectivités territoriales, il n’existe pas (comme dans de nombreux autres pays) de codification complète et systématique de toutes les compétences de chacune des entités territoriales françaises.

 

 Les compétences des trois principaux types de collectivités locales et régionales ont été présentées ci-dessus (voir le point 3.1). Ici, il est pertinent d’analyser certains aspects transversaux :

 

(a)  Comme l’exige la Charte, les compétences et responsabilités de base des collectivités locales soient fixées par la loi, et non par la Constitution elle-même. Cela ne pose pas de problème aux fins du présent rapport et c’est la situation la plus fréquente en Europe.

 

(b) Seules les communes jouissent de la clause générale de compétence, ce qui n’est pas le cas des départements et des régions. Par conséquent, le domaine d’action des communes est nécessairement plus large que celui des départements et des régions, du fait que ceux-ci ne peuvent mettre en œuvre et exercer d’autres compétences que celles qui leur sont attribuées par les lois et règlements.

 

(c) Lors des deux parties de la visite de suivi, la délégation a demandé aux divers représentants locaux et régionaux s’ils étaient satisfaits du nombre et de l’importance des compétences qui leur sont attribuées. En règle générale, tel semblait être le cas, et aucun n’a exprimé le souhait d’exercer ou d’obtenir davantage de compétences. Leur inquiétude portait davantage sur le fait de disposer d’un financement suffisant pour exercer leurs compétences actuelles.

 

(d) Une autre question sensible est de savoir si à la lumière des développements récents dans ce domaine les compétences locales/régionales ont été élargies ou réduites ces dernières années, en particulier depuis le dernier suivi du Congrès en 2016. En d’autres termes, il s’agit de savoir si le processus de décentralisation se poursuit ou s’il existe une tendance de recentralisation des compétences. La délégation a entendu de nombreuses plaintes de représentants locaux à ce sujet.
Les responsables locaux (et des experts) ont fait le constat commun qu’il y a une tendance à la recentralisation depuis quelques années.

 

(e) Une autre préoccupation commune exprimée par les interlocuteurs des corapporteurs est le fait que la répartition des compétences entre les différentes entités locales/régionales, et entre ces entités et l’État, est loin d’être claire. Il y aurait de nombreux cas d’empiètement et de chevauchement de compétences, ainsi que des doublons.

 

 Malgré les préoccupations exprimées par des élus locaux, les corapporteurs considèrent que la situation en France est conforme à l’article 4.1 de la Charte.

Article 4.2
Portée de l'autonomie locale - Article ratifié

Les collectivités locales ont, dans le cadre de la loi, toute latitude pour exercer leur initiative pour toute question qui n'est pas exclue de leur compétence ou attribuée à une autre autorité


 Les communes jouissent d’une clause générale de compétence qui leur permet de gérer toute question relevant de « l’intérêt municipal » et de prendre des initiatives pour le bien-être de leur population, même si cette compétence ne leur est pas explicitement accordée par la loi. Cette « clause » semble être une expression du principe énoncé à l’article 4.2 de la Charte.

 

 Cependant, la « clause générale de compétence » ne s’étend pas à l’ensemble des collectivités locales ou régionales : seules les communes en bénéficient, ce qui n’est pas le cas des départements et des régions. Cette question a connu une histoire mouvementée : initialement, la loi
du 2 mars 1982 a doté la région d’une clause générale de compétence, affirmant que : « le conseil régional règle par ses délibérations les affaires de la région ». Sur cette base juridique, les régions disposaient alors d’un pouvoir d’initiative, à condition que leurs actions correspondent aux intérêts de leur territoire.

 

 La clause générale de compétence a été supprimée pour les régions et les départements en 2010, mais cette clause a été rétablie au profit des régions et des départements par la loi
du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (appelée la loi « MAPTAM »).

 

 Enfin, elle a été supprimée pour les régions et les départements par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (loi « NOTRe »). Par conséquent, à l’heure actuelle les régions et les départements ne peuvent exercer que les compétences qui leur sont clairement et explicitement attribuées par la législation.

 

 Compte tenu de ce qui précède, on pourrait considérer que la France satisfait aux exigences de l’article 4.2, mais uniquement de manière partielle, à savoir pour ce qui concerne les communes.
Le principe ne serait pas respecté dans le cas des départements et des régions.

 

 Cette conception doit cependant être écartée. Les communes sont les véritables bénéficiaires de la clause générale de compétence, parce qu’elles sont les plus proches des citoyens et agissent comme une sorte de « filet de sécurité » couvrant l’ensemble du territoire. En revanche, s’il est relativement aisé de définir ce qui peut présenter un intérêt local, il est plus difficile de dégager ce qu’est un « intérêt départemental » et de déterminer si cette notion est totalement différente d’un « intérêt local ».

 

 Un autre argument est que, si les trois types de collectivités locales/régionales présentes en France disposaient de leur propre « clause générale de compétence », il y aurait un risque évident de chevauchement ou de confusion, du fait qu’il est très difficile de distinguer clairement entre les « intérêts » respectifs de la commune, du département et de la région. Enfin, aucun des interlocuteurs rencontrés n’a considéré que les départements et les régions devraient également disposer de leur propre « clause générale de compétence ». Actuellement, ce n’est pas une revendication des élus locaux et, lors des visites de suivi, les corapporteurs n’ont entendu aucune critique concernant le fait que seules les communes bénéficient d’une telle clause.

 

 En conclusion, les corapporteurs considèrent que la situation en France est conforme
à l’article 4.2 de la Charte.

Article 4.3
Portée de l'autonomie locale - Article ratifié

L'exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber, de préférence, aux autorités les plus proches des citoyens. L'attribution d'une responsabilité à une autre autorité doit tenir compte de l'ampleur et de la nature de la tâche et des exigences d'efficacité et d'économie.

 


 Il est communément considéré en France que l’article 4.3 de la Charte énonce le « principe de subsidiarité ». Pour sa part, l’article 72, paragraphe 2, de la Constitution française dispose que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon »[35]. Une autre disposition pertinente ici est l’article premier de cette Constitution, selon lequel l’organisation de la République française est décentralisée.[36]

 

 Les interlocuteurs des corapporteurs se sont accordés à dire que cette disposition constitutionnelle énonce le principe de subsidiarité, bien que le terme « subsidiarité » soit clairement absent de cette formulation.

 

 Ainsi, le principe de subsidiarité étant énoncé dans la Constitution, il a la valeur et l’importance d’une disposition constitutionnelle. Cependant, pour qu’un principe prenne vie, il ne suffit pas qu’il soit reconnu dans une loi ou une Constitution il convient également de voir si ce principe est respecté dans la pratique, s’il est appliqué régulièrement et, enfin, s’il est protégé par les lois et les tribunaux.

 

 Tous les témoignages entendus par la délégation sur cette question convergent pour affirmer que le principe de subsidiarité n’est pas invoqué explicitement en tant que fondement d’une stratégie de décentralisation (il n’y en avait pas en France à l’heure de la visite).

 

 Les corapporteurs ont eu l'impression que la plupart des décisions politiques reflètent un principe directeur diamétralement opposé en ce qu’elles ont pour but d’attribuer des compétences aux entités « supérieures » ou « plus grandes » plutôt qu’à l’échelon le plus petit et de premier niveau. On peut citer, à titre d’exemples, la création de régions plus grandes en 2015 (au détriment des régions antérieures, plus petites mais ayant un lien plus étroit avec les territoires et la population), la création de grandes métropoles (qui, dans les faits, enlèvent toute pertinence aux petites villes voisines, absorbées par la structure bureaucratique intercommunale), etc.

 

 Enfin, le principe de subsidiarité n’a joué aucun rôle décisif dans les décisions du Conseil constitutionnel français. Ce principe reste peu invoqué devant cette juridiction et n’apparaît que rarement dans sa jurisprudence. En tout cas, le Conseil constitutionnel n´a jamais sanctionné une loi comme violant ce principe. D’une manière générale, ce principe est considéré comme une question relevant de la discrétion du pouvoir politique, qu’il est difficile de faire respecter par les tribunaux.

 

 Lors de la procédure de consultation, les autorités centrales ont informé les corapporteurs que les réformes menées au cours des cinq dernières années visaient à « redonner des marges d’appréciation aux acteurs locaux dans leur organisation ».  Ainsi la loi « engagement et proximité » de 2019 visait à supprimer l’obligation d’exercer un nombre minimal de compétences optionnelles dans les EPCI à fiscalité propre et à introduire davantage de souplesse dans l’exercice de compétences structurantes, en particulier l’eau, l’assainissement et les eaux pluviales ; ainsi qu’à renforcer les pouvoirs de police du maire. La loi « climat et résilience » de 2021 visait à renforcer les polices environnementales attribuées aux maires (transférables aux présidents d'EPCI à fiscalité propre), en octroyant à ceux-ci des pouvoirs de régulation de la fréquentation des espaces naturels protégés situés sur leur territoire, et en décentralisant de l'Etat vers le bloc communal la police de l'affichage publicitaire, des enseignes et préenseignes commerciales. Enfin, la loi « 3DS » de 2022 visait à poursuivre la décentralisation de certaines compétences de l’Etat vers les collectivités locales notamment en matière de transferts ou de rétrocession de compétences entre communes et EPCI, et à assouplir davantage encore l’exercice des compétences en matière d’eau et d’assainissement.

 

 Compte tenu de ce qui précède, les corapporteurs concluent qu’il y a en France un respect de l’article 4.3 de la Charte. Pourtant, bien que le principe de subsidiarité soit reconnu dans la Constitution, il mériterait, selon les corapporteurs, d'être explicitement ancré dans la législation pour être traduit de manière plus claire dans les prochaines réformes. En outre, le principe de subsidiarité serait probablement plus facilement invoqué devant / et par les tribunaux s’il est introduit expressément dans la législation.

Article 4.4
Portée de l'autonomie locale - Article ratifié

Les compétences confiées aux collectivités locales doivent être normalement pleines et entières. Elles ne peuvent être mises en cause ou limitées par une autre autorité, centrale ou régionale, que dans le cadre de la loi.

 


 Les collectivités locales françaises exercent un nombre notable de compétences et de responsabilités. En théorie, ces compétences sont pleines et entières au sens de la Charte, puisqu’elles sont décrites comme telles dans les législations respectives sur l’administration locale. Toutefois, les interlocuteurs locaux et régionaux de la délégation ont formulé différentes plaintes concernant l’exercice « exclusif » ou libre de leurs compétences. Ces plaintes portaient sur différents phénomènes, dont l’impact cumulé est une réduction notable de la « liberté » réelle d’exercer leurs compétences et d’assurer leurs services.

 

 Les plaintes formulées par les interlocuteurs de la délégation portaient notamment sur les points suivants :

 

(1) la surrèglementation de la part du pouvoir central ;

(2) le contrôle ou l’interventionnisme excessifs de l’État dans l’élaboration des décisions qui relèvent des autorités locales (dans des domaines tels que l’urbanisme, la planification des transports, le logement, etc) ;

(3) le trop grand nombre de restrictions sur les dépenses (voir ci-dessous, article 9) ;

(4) le trop grand nombre de restrictions lorsque les communes décident de la structure la plus appropriée pour la coopération intercommunale (voir ci-dessous le commentaire sur l’article 10.1 de la Charte)

(5) l’autonomie financière trop limitée des collectivités locales et leur absence totale d’autonomie fiscale (voir ci-dessous, commentaire sur l’article 9) ;

(6) le fait que les subventions publiques sont de plus en plus accordées à des fins déterminées et hiérarchisées par les autorités de l’État (voir ci-dessous, l’article 9).

 

 La plupart de ces caractéristiques seront examinées plus en détail sous différentes rubriques du présent rapport, mais l’accent doit être mis sur la clarté du système d’attribution des compétences et sur leur caractère « exclusif » ou non.

 

 Dans les faits, tous les interlocuteurs rencontrés ont, de manière récurrente, déploré que la répartition des compétences entre l’État et les trois niveaux de collectivités territoriales soit confuse et complexe. Les chevauchements de compétences et les doublons sont nombreux et les responsables locaux les ont fréquemment dénoncés, par exemple pour ce qui concerne le tourisme.

 

 En outre, les interlocuteurs locaux se sont plaints que le système de compétences n’est pas stable : selon eux, il change fréquemment, ce qui introduit un élément supplémentaire de complexité et d’incertitude, même au sein de la population.

 

 Comme la Cour des comptes l’a récemment reconnu dans son rapport annuel public 2023, les compétences de tous ces niveaux sont « de plus en plus imbriquées, le plus souvent exercées par plusieurs niveaux différents de collectivités ». Il en résulte, selon la Cour, une « extraordinaire complexité »[37]. La Cour a également conclu que les quatre échelons d’administration publique interviennent encore dans la gestion de 19 des 24 domaines de compétence identifiés
en 2015, à la suite de la réorganisation des régions décidée par le législateur, comme devant faire l’objet d’une clarification. La Cour est même allée plus loin en déclarant que « la confusion qui entoure le partage des compétences entre l’État et les collectivités territoriales alimente la perception d’une dilution des responsabilités et d’un éloignement voire d’un abandon du service public », rappelant le niveau élevé d’abstention des électeurs (un grave problème, comme on l’a vu).

 

 Il est évident que la confusion concernant la répartition compétences, telle que les responsabilités publiques ne sont pas clairement attribuées, dilue la responsabilité politique et la volonté des citoyens de s’impliquer dans des choix, des élections et des initiatives politiques.

 

 Compte tenu de ce qui précède, les corapporteurs estiment qu’il y a une violation partielle de l’article 4.4 de la Charte en France.

Article 4.5
Portée de l'autonomie locale - Article ratifié

En cas de délégation des pouvoirs par une autorité centrale ou régionale, les collectivités locales doivent jouir, autant qu'il est possible, de la liberté d'adapter leur exercice aux conditions locales.


 Le régime, par lequel l’État délègue une compétence spécifique à une commune donnée, est assurément réglementé par la loi, concrètement dans le « Code général » (articles L1111-8-1 et suivants). Les conditions légales sont les suivantes : (a) une commune ou un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre demande à l’État de lui déléguer l’exercice d’une compétence donnée ; (b) un dossier est constitué et une procédure est suivie ; certains avis sont demandés ; (c) si l’État accepte la demande de délégation, un projet de convention est communiqué à la collectivité territoriale ou à l’établissement public ; (d) en cas d’acceptation, l’État et l’autorité qui fait la demande signent la convention qui fixe les conditions d’exercice de la compétence ; (e) la délégation est décidée par décret gouvernemental ; (f) les compétences déléguées en application du présent article sont exercées au nom et pour le compte de l’État.

 

 Dans ces cas, la capacité de l’autorité locale à « adapter » l’exercice de la compétence déléguée aux besoins locaux est quasi nulle, puisque la loi dispose clairement que les compétences déléguées « ne peuvent habiliter les collectivités territoriales et les établissements publics concernés à déroger à des règles relevant du domaine de la loi ou du règlement ».

 

 Il convient en outre de noter que la convention fixe la durée de la délégation, définit les objectifs à atteindre, précise les moyens mis en œuvre ainsi que les modalités de contrôle de l’État sur la collectivité territoriale ou l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre délégataire fixe la durée, définit les objectifs à atteindre, précise les ressources à déployer et les modalités et conditions du contrôle étatique de l’autorité locale déléguée ou de l’organisme public de coopération intercommunale délégataire (les modalités de cette convention sont précisées par décret en Conseil d’État). En ce qui concerne les adaptations relevant du domaine législatif, l’article 2 de la loi 3 DS du 21 février 2022 prévoit que les départements, les régions, la Corse et certains territoires d’outre-mer peuvent proposer des adaptations de nature législative au Parlement et au gouvernement.
Le Premier ministre accuse réception des propositions qui lui sont transmises.

 

 Lors des différents entretiens avec les élus locaux et régionaux, ceux-ci ont de manière uniforme souligné que, lorsque le gouvernement central délègue des pouvoirs aux autorités locales et régionales, celles-ci ne disposent d’aucune marge de manœuvre pour adapter leurs exercices aux conditions locales. D’ailleurs, le gouvernement édicte au contraire des règlements complets et détaillés qui déterminent la manière dont ces compétences doivent être exercées ce qui limite d’autant la capacité d’ajustement des compétences des autorités locales

 

 En conséquence, la délégation estime qu’il y a violation partielle de l’article 4.5 de la Charte.

Article 4.6
Portée de l'autonomie locale - Article ratifié

Les collectivités locales doivent être consultées, autant qu'il est possible, en temps utile et de façon appropriée, au cours des processus de planification et de décision pour toutes les questions qui les concernent directement.

 


 L’article 4, paragraphe 6, de la Charte est l’une des dispositions les plus importantes dans le domaine des collectivités locales et régionales. Il est donc nécessaire de déterminer s’il existe des organes ou des structures de consultation et éventuellement de négociation entre l’État et les collectivités locales et régionales, si ces structures fonctionnent dans la pratique et s’il existe un véritable esprit de partenariat et de cogouvernance.

 

 Dans cette optique, il doit être relevé que, dans le système de gouvernance français, il n’a pas été créé d’instance, d’organe administratif ou de commission bilatérale pour servir de forum général de consultation de toutes les collectivités locales/régionales et pour permettre leur participation à la prise de décision des organes de l’État sur toute question qui les concernent.

 

 Cependant, il existe différents organes au sein desquels cette consultation ou cet échange d’informations ont effectivement lieu. Les plus importants d’entre eux sont les suivants :

 

(a) Le Comité des finances locales

 

Cet organe a été créé par une loi nationale en 1996 et sera examiné plus en détail ci-dessous en lien avec l’article 9.6.

 

(b) Le Conseil d’évaluation des normes

 

 Cet organe est chargé d’évaluer les règles juridiques de l’État applicables aux collectivités locales et à leurs établissements publics de coopération intercommunale. Il est composé de représentants des services gouvernementaux concernés, de parlementaires et d’autorités locales. En particulier, s’agissant des collectivités territoriales, cet organe compte quatre conseillers régionaux, quatre conseillers départementaux, cinq conseillers municipaux élus par les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre et dix conseillers municipaux élus par les maires français.

 

 Ce conseil doit être consulté par le gouvernement sur l’impact technique et financier que les projets de loi ou de règlement de l’État pourraient avoir sur les collectivités locales et sur leurs établissements publics de CIC, si les projets en question créent ou modifient des règles juridiques applicables aux collectivités territoriales. À la demande du gouvernement, il peut également émettre un avis sur l’impact technique et financier qu’un projet de législation de l’Union européenne pourrait avoir sur les collectivités locales ou sur leurs organes publics.

 

(c) L’Agence nationale de la cohésion des territoires

 

 Entre autres fonctions, cette agence de l’État est chargée d’assurer un contrôle et d’alerter les différentes administrations publiques, ainsi que les opérateurs publics et privés, sur l’impact territorial de leurs décisions en termes de cohésion et d’équité. Elle coordonne en outre l’utilisation des fonds structurels et d’investissement européens et assiste le ministre chargé de l’aménagement du territoire pour la définition, la mise en œuvre et le suivi des politiques nationales et européennes de cohésion économique, sociale et territoriale.

 

 Comme les organes mentionnés ci-dessus, l’organe directeur de cette agence est composé de représentants de tous les niveaux de gouvernance du pays. Le conseil d’administration comprend des représentants de l’État, deux députés, deux sénateurs, ainsi que des représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements.

 

(d) Outre les organes et structures multilatéraux susmentionnés, il existe également des comités spécifiques chargés de traiter avec certaines autorités territoriales. Parmi les plus importants figurent le Comité interministériel des outre-mer, au sein duquel il existe une consultation spécifique avec ces autorités d’outre-mer. Des responsables gouvernementaux ont affirmé que, ces dernières années, plus de 60 mesures différentes avaient été négociées avec les représentants des territoires et départements d’outre-mer.

 

 Il est en outre important de noter que le Conseil d’État joue également un rôle dans ce domaine, non pas en exerçant des pouvoirs juridictionnels, mais dans son rôle consultatif. Le Conseil d’État est en effet divisé en plusieurs sections : la section du contentieux, qui compte en son sein dix chambres chargées de connaître en dernier ressort des litiges juridictionnels administratifs, et cinq sections consultatives obligatoirement saisies par l’Exécutif des projets de loi et des projets de décrets en Conseil d’Etat.

 

 À ce titre, le Conseil d’État a pour mission de vérifier que, lors de l’approbation d’un projet législatif ou d’un règlement administratif, toutes les étapes procédurales statutaires ont été dûment suivies et que tous les rapports et avis requis ont été demandés. Par conséquent, le Conseil d’État s’assure que les consultations des collectivités territoriales, lorsqu’elles sont exigées par la législation, ont effectivement été menées.

 

(e) Enfin, il ne faut pas oublier une particularité du système constitutionnel français, à savoir le rôle de la chambre haute du Parlement en tant que lieu de représentation des collectivités locales et régionales. En effet, le Sénat français est unique au sens où ses membres ne sont pas élus directement par la population, mais par un collège de « grands électeurs », qui sont principalement des élus locaux et régionaux (voir supra, paragraphes 25/26 du présent document). Pour cette raison, il est considéré que les collectivités locales et régionales disposent en propre d’une voix forte dans les débats parlementaires qui conduisent à l’adoption de textes de loi et que le Sénat représente les collectivités locales et régionales dans le processus législatif.

 

 Dans le cas d’une législation concernant l’organisation des collectivités locales, le Sénat est le premier à être consulté dans le cadre du processus législatif. Afin d’affirmer son rôle de représentant des collectivités territoriales, le Sénat a créé en 2009 une Délégation aux collectivités territoriales qui veille au respect de la libre administration et des collectivités et participe activement à la fonction de contrôle du Sénat dans les domaines intéressant le statut, l’activité et l’avenir des collectivités locales.

 

 Par conséquent, il semble exister de fait un certain modèle de « communication » politique ou d’échange réciproque d’informations et d’opinions entre les acteurs centraux et locaux et il existe en effet plusieurs organes de consultation entre les différents niveaux d’autorité publique. Cependant, les représentants locaux et régionaux ont uniformément dénoncé le fait que ces mécanismes de « consultation » ne sont pas de véritables cadres de discussion et de négociation, mais de simples canaux d’« information » ou de communication sur les initiatives, plans et réglementations de l’État. Selon eux, les autorités locales et régionales « sont écoutées, mais ne sont pas entendues ».

 Selon une lecture large de la Charte, l’existence de ces structures publiques et leur fonctionnement régulier suffisent à satisfaire aux exigences de l’article 4.6, même s’il serait souhaitable que l’État renoue le dialogue et les négociations avec les entités territoriales dans un véritable esprit de partenariat et de cogouvernance.

 

 Compte tenu de ce qui précède, les corapporteurs estiment que la situation en France est conforme aux exigences de l’article 4.6 de la Charte, mais qu’il existe une marge d’amélioration certaine.

Article 5
Protection des limites territoriales des collectivités locales - Article ratifié

Pour toute modification des limites territoriales locales, les collectivités locales concernées doivent être consultées préalablement, éventuellement par voie de référendum là où la loi le permet.


 La possibilité pour la population locale d’intervenir dans un processus de fusion d’entités territoriales est expressément prévue par la Constitution française, qui dispose que « la modification des limites des collectivités territoriales peut également donner lieu à la consultation des électeurs dans les conditions prévues par la loi » (article 72-1). Cependant, cette consultation populaire est simplement décrite comme facultative, et non obligatoire.

 

 Pour savoir si l’article 5 de la Charte est respecté en France, il est nécessaire d’examiner séparément les mécanismes et procédures applicables aux trois types de collectivités territoriales.

 

Les communes

 

 En ce qui concerne les modifications territoriales des communes, il convient de distinguer deux situations différentes. La première consiste en une simple modification des limites territoriales d’une commune par rapport à une commune voisine, par laquelle la délimitation du territoire des autorités respectives est redessinée. Cette situation ne suscite aucune préoccupation en vertu de
l’article 5, puisque la législation française prévoit explicitement qu’il doit s’agir d’une procédure volontaire, convenue entre les entités concernées.

 

 L’autre situation est d’une portée supérieure, car elle implique la fusion entre deux entités territoriales ou plus, pour former une autorité publique supérieure qui en principe remplace les entités existantes. Ces types d’opérations sont réglementés par la législation régissant les différents types d’autorités locales, et en premier lieu par le « Code général ».

 

 La fusion des communes a souvent été considérée comme un moyen de lutter contre le problème structurel que représente le très grand nombre de communes en France, dont beaucoup sont très petites (voir supra, paragraphe 35). Comme beaucoup d’éléments du système politique français,
les racines, de cette situation remontent à la Révolution française de 1789, lorsque les législateurs, par la loi des 14-22 décembre de cette année-là, ont établi une commune dans chaque ville, village, bourg ou localité agricole existant à l’époque. En 1793, la France comptait quelque 44 000 communes, et il en reste aujourd’hui environ 35 000. Le problème de l´émiettement communal est donc en France un problème récurrent, qui n’a toujours pas été résolu.

 

 Pour cette raison, il y a eu différents régimes juridiques pour faciliter les fusions volontaires des communes, comme celui qui a été promulgué en 1971, sans grand résultat. Néanmoins,
la caractéristique « positive » de cette approche du point de vue de l’autonomie locale est qu’elle ne se voulait pas un mécanisme obligatoire ou coercitif imposé par l’État, comme cela s’est produit dans d’autres pays européens.

 

 Actuellement, et depuis la loi du 16 décembre 2010, la principale forme de fusion des communes est la création de « communes nouvelles »[38]. Cet objectif peut être atteint au moyen de deux mécanismes ou systèmes, qu’il n’est pas nécessaire de présenter en détail ici[39].

 

 La caractéristique pertinente, aux fins de l’article 5, est que l’initiative de fusion est essentiellement de nature volontaire. Ainsi, l’initiative de la fusion doit être prise à l’unanimité par les communes contiguës concernées, ou par l’organe directeur de l’établissement de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI), regroupant différentes communes. La fusion ne peut être imposée de manière unilatérale par l’État, la région ou le département.

 

 En outre, la possibilité - en réalité, l’obligation - d’organiser une consultation est explicitement prévue dans la législation. C’est le cas lorsque l’initiative de la fusion n’est pas décidée par les conseils des communes contiguës, mais par les deux tiers des conseils des communes participant à l’« EPCI » susmentionné. Dans ce cas, la fusion ne peut être réalisée que si plus de la moitié des électeurs inscrits participent au scrutin et si le projet est approuvé à la majorité absolue des suffrages exprimés dans chacune des communes concernées, comme le prévoit l’article 2113.3 du « Code général ».

 

 Ainsi, pour ce qui concerne les collectivités locales de premier niveau, la fusion des communes est une procédure entièrement volontaire, réalisée à l’initiative des entités impliquées. Par conséquent, l’article 5 de la Charte est clairement respecté, puisque la législation va bien au-delà de l’obligation de consulter les autorités locales concernées.

 

Les départements

 

 L’existence des départements actuels remonte elle aussi à l’œuvre législative de la Révolution française (loi des 15-16 février 1790). Initialement au nombre de 80, il en existe actuellement
101 (96 en France continentale et cinq en outre-mer). Dans le passé, il y a eu plusieurs tentatives gouvernementales de réduire le nombre de départements (1945, 2008, 2014), mais elles n’ont jamais abouti.

 

 Actuellement, la possibilité de fusionner deux départements contigus pour en créer un plus grand est explicitement prévue dans la législation. Là encore, la fusion ne peut être imposée de manière obligatoire par l’État : la législation dispose que l’initiative de la fusion doit être prise par les conseils des départements concernés (chaque conseil doit se prononcer par 3/5 de ses membres). Au contraire, la participation ou la consultation des citoyens n’est pas prévue par la loi.

 

 Les départements doivent être situés dans la même région. La fusion doit être approuvée officiellement par décret en Conseil d’Etat. En 2019, les deux départements traditionnels composant l’Alsace (le Bas-Rhin et le Haut-Rhin) ont fusionné en une seule unité territoriale supérieure, appelée « Collectivité européenne d’Alsace »

 

 Compte tenu de ce qui précède, la situation en France est conforme à l’article 5 de la Charte en ce qui concerne les départements.

 

Les régions

 

 Les régions ont été créées en 1982 et, en 2015, elles ont été totalement remodelées par un acte législatif national par la loi du 16 février 2015. Le nombre des régions a été ramené de 22 à 13, tandis que leurs limites territoriales et leur étendue ont été totalement redessinées par le législateur. La Corse est restée inchangée en raison de sa situation insulaire et de son statut particulier.

 

 Ces fusions massives des régions existantes et le redécoupage de leurs territoires ont ainsi été menés au moyen de textes législatifs passés par le Parlement, reposant apparemment sur des arguments raisonnables tels que l’efficience, la rationalité et le déploiement des ressources[40]. Cependant, et d’après les élus locaux et régionaux rencontrés par la délégation, cette réforme structurelle a été menée sans consulter les autorités régionales concernées. Ni les populations, ni les conseils régionaux, ni les présidents de régions n’ont été consultés et, selon eux, personne au niveau local ou régional n’a eu la possibilité de négocier ces mesures « avec Paris » (gouvernement et parlement).

 

 Cette réforme a été analysée en détail par le Congrès dans son rapport de suivi de 2016 et elle était présentée en détail dans l’exposé des motifs (pages 40-45). Le rapport concluait à une violation de l’article 5 de la Charte, qu’il argumentait de manière approfondie. Aussi les corapporteurs estiment-ils qu’il n’est pas nécessaire de reprendre la même analyse dans le présent rapport.

 

 Le rapport de suivi de 2016 expliquait également que cette violation manifeste de la Charte n’avait pas de répercussions pratiques dans les procédures judiciaires engagées devant le Conseil constitutionnel[41] et le Conseil d’État[42], pour des raisons liées au droit constitutionnel et administratif interne. En outre, l’article 72-1 de la Constitution ne prévoit le référendum local que comme une possibilité, et non comme une obligation.

 

 Dans tous les cas, au moment de la visite, il n’existait en France aucun projet de nouvelle restructuration de la carte des collectivités régionales.

 

 Le dispositif juridique en vigueur (L.  L4122-1-1 du code général des collectivités territoriales) concernant la modification des limites des régions, prévoit que les conseils régionaux et départementaux sont obligatoirement consultés et que ces modifications peuvent être entreprises à l’initiative de ces mêmes conseils. La liste des régions est inscrite dans le code général des collectivités territoriales à l’article L. 4111-1, ce qui constitue une protection de niveau législatif.

 

 Il convient également de noter que la question ne se pose pas de la même manière
qu'en 2015, au moment de la réforme territoriale de grande envergure qui aurait alors été mise en place.

 

 Au moment de la visite, les corapporteurs observent que la France respecte l’article 5 de la Charte.

Article 6.1
Adéquation des structures et des moyens administratifs aux missions des collectivités locales - Article ratifié

Sans préjudice de dispositions plus générales créées par la loi, les collectivités locales doivent pouvoir définir elles mêmes les structures administratives internes dont elles entendent se doter, en vue de les adapter à leurs besoins spécifiques et afin de permettre une gestion efficace.


 En France, les structures administratives internes des collectivités territoriales sont réglementées en détail dans le « Code général », qui consacre différentes sections aux trois types fondamentaux d’entités, ainsi qu’une disposition spécifique pour les territoires et départements d’outre-mer. Comme indiqué ci-dessus, le Code énumère et réglemente les principaux organes (délibératifs-exécutifs) des collectivités territoriales, leurs modes de sélection, leurs règles fondamentales d’action et de prise de décision, etc.[43].

 

 La législation nationale, en réglementant de manière aussi détaillée les organes et les structures administratives de ces collectivités, remplit son objectif d’établir une homogénéité et une uniformité maximales à l’échelle du pays. Toutefois, cela est compatible avec le principe de différenciation
(qui prend une importance croissante depuis quelque temps) en vertu duquel l’État peut édicter des règles spécifiques pour certaines collectivités, telles que les territoires et départements d’outre-mer.

 

 Pour autant, cette législation de l’État n’exclut pas totalement l’auto-organisation, et les collectivités locales et régionales conservent une certaine capacité à déterminer leurs propres structures administratives, dans le respect des règles, lois et règlements de l’État.

 

 Par exemple, dans les communes de plus de 1 000 habitants, le conseil approuve son propre règlement intérieur (article 2112-8 du « Code général »).

 

 Toujours dans le cas des communes, le conseil a également le pouvoir de mettre en place au sein de l’organisation municipale certaines « commissions spécifiques », qui en théorie préparent les réunions du conseil et aident celui-ci à prendre ses décisions. La composition de ces commissions respecte la représentation proportionnelle de chaque groupe politique au sein du conseil plénier.
Ces commissions peuvent être de nombreux types : commissions consultatives spéciales, commissions consultatives municipales, commissions consultatives des services publics locaux, conseils de la jeunesse, etc.

 Au niveau départemental, il existe également des « commissions permanentes », auxquelles le conseil plénier peut déléguer des pouvoirs de décision. Ce dispositif est également présent, sous la même appellation, au niveau régional[44].

 

 Compte tenu de ce qui précède, les corapporteurs estiment que la situation en France est conforme aux exigences de l’article 6.1 de la Charte.

Article 6.2
Adéquation des structures et des moyens administratifs aux missions des collectivités locales - Article ratifié

Le statut du personnel des collectivités locales doit permettre un recrutement de qualité, fondé sur les principes du mérite et de la compétence; à cette fin, il doit réunir des conditions adéquates de formation, de rémunération et de perspectives de carrière.


 L’ensemble des personnes travaillant pour toutes les entités ou organismes publics au niveau national, régional ou local sous le statut de fonctionnaires est appelé la « fonction publique ».
Cet univers administratif a ses propres normes et mécanismes (différents du droit ordinaire du travail et de l’emploi), qui sont réglementés en détail par l’État pour l’ensemble du pays.

 

 Comme il est d’usage en France, l’ensemble des lois et statuts relatifs à la fonction publique est codifié dans un texte juridique unique, régulièrement mis à jour et harmonisé, appelé le « Code général de la fonction publique ». Outre ce Code, de nombreuses réglementations gouvernementales complètent ou précisent les statuts et les règles juridiques pertinents.

 

 La fonction publique française comprend trois subdivisions ou groupes différents : la fonction publique d’État, la fonction publique locale/régionale et la fonction publique hospitalière.
Les fonctionnaires des collectivités locales et régionales constituent une catégorie spécifique de personnel, appelée « fonction publique territoriale ».

 

 Cette introduction est nécessaire pour comprendre deux points importants : en France, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays européens, a) la plupart des personnes travaillant pour les collectivités territoriales sont des fonctionnaires ou agents « territoriaux »[45], tandis que d’autres peuvent travailler comme salariés régis par le droit du travail ordinaire (agents publics contractuels) et b) la législation de l’État réglemente de manière globale et uniforme la plupart des aspects et éléments applicables à tous les fonctionnaires : recrutement, carrière, formation continue, régime de retraite, mobilité, barèmes de rémunération, etc.

 

 Compte tenu de cette structure juridique, les collectivités locales et régionales, prises isolément, ont une capacité très limitée à réglementer un quelconque aspect important des conditions de travail de leurs propres fonctionnaires. Là encore, on peut voir un aspect structurel de la tradition constitutionnelle française : uniformité et homogénéité à l’échelle du pays, afin de réaliser le principe supérieur de « l’égalité ».

 

 Il n’y a pas de législation spécifique ou « autonome » pour les fonctionnaires et autres employés travaillant pour les communes, les départements et les régions : leurs conditions de travail sont régies par le Code général pertinent. Cette situation est compatible avec le fait que le « Code » fixe des règles spécifiques pour les fonctionnaires locaux, le cas échéant.

 

 Les ressources humaines d’une collectivité locale moyenne ou grande peuvent comprendre différentes catégories de personnel : fonctionnaires, agents contractuels et autres personnes (stagiaires, personnel détaché, etc.). En général, les postes de direction et de gestion les plus élevés sont occupés par des fonctionnaires, mais en cas d’urgence, lorsqu’une commune ne dispose pas de personnel qualifié pour des postes tels que ceux d’architecte, d’ingénieur ou de juriste, elle peut employer du personnel sur la base d’un contrat à durée déterminée. De leur côté, les postes ayant un profil « professionnel » ou « ouvrier » peuvent être occupés par des salariés contractuels. Il ne faut pas oublier en outre que de nombreux services locaux peuvent être fournis par des entreprises externes (pour des activités internes telles que le nettoyage, la sécurité, le jardinage, etc.), auquel cas les emplois seront occupés par des salariés de ces entreprises.

 

 Dans le cas des petites communes, le nombre et les catégories d’employés sont logiquement plus réduits et, dans de nombreux cas, ces autorités ne peuvent même pas embaucher des employés à temps plein. Par exemple, dans la petite ville de Dorans (située dans le département du Territoire de Belfort), où la délégation s’est rendue, le personnel était très réduit : un secrétaire de mairie travaillant 30 heures par semaine, un employé contractuel, une femme de ménage travaillant à temps partiel et un stagiaire.

 

 La Charte dispose que « le statut du personnel des collectivités locales doit permettre un recrutement de qualité, fondé sur les principes du mérite et de la compétence ; à cette fin, il doit réunir des conditions adéquates de formation, de rémunération et de perspectives de carrière ». Là encore, le recrutement et la rémunération des fonctionnaires « territoriaux » sont également régis par le Code général de la fonction publique (et par la loi annuelle sur le budget national).

 

 En ce qui concerne le recrutement, les procédures habituelles pour pourvoir les postes vacants ou embaucher des employés permanents sont régies par le Code général de la fonction publique.
La manière habituelle pour les diplômés de devenir fonctionnaires est de réussir les concours de recrutement organisés à l’échelle nationale. Les candidats retenus ne se voient pas attribuer un emploi immédiatement, mais sont inscrits sur une liste d’aptitude pendant trois ans, période durant laquelle ils doivent trouver un emploi dans une collectivité locale donnée où un poste vacant est à pourvoir. Selon un chercheur français, ce système « permet un juste équilibre entre la liberté de décision de chaque candidat et une garantie de qualification minimale du personnel recruté »[46].

 

 Certains postes au sein des collectivités locales et régionales sont réservés aux « agents territoriaux ». Il existe une progression de carrière spécifique pour les fonctionnaires ayant une dimension nationale, au sein de ce segment de la fonction publique.

 

 Selon les interlocuteurs rencontrés au cours de la visite, les collectivités locales et régionales peuvent librement recruter des personnels pour les postes vacants (dans les limites de leur budget et de leurs ressources financières), soit sur une base statique, soit à la suite d’une mise en mobilité (concours) entre fonctionnaires travaillant déjà dans d’autres collectivités locales et intéressés par une évolution de carrière.

 

 Par exemple, dans le cas de Paris, les interlocuteurs des corapporteurs se sont déclarés plutôt satisfaits des conditions de travail et des rémunérations de leurs employés locaux et ils ont indiqué être en mesure de recruter des personnes hautement qualifiées. En outre, ils ont souligné d’ailleurs que l’ancienne Première ministre française, Mme Borne, était auparavant cadre supérieure au sein de l’administration de la Ville de Paris. Le cas de Paris est très particulier, car pour des raisons historiques, la capitale a sa propre « fonction publique », qui est gérée de manière autonome par la commune.

 

 En ce qui concerne les rémunérations des « agents territoriaux », elles sont régies par deux règles juridiques différentes : le Code général de la fonction publique définit les divisions, barèmes et filières professionnelles de la « fonction publique territoriale », tandis que le montant effectif de leur rémunération est en grande partie fixé dans la loi annuelle sur le budget et les finances de l’État. Selon les interlocuteurs, cette situation limite considérablement la capacité des collectivités locales/régionales à mettre en place des mesures d’incitation valorisant la bonne performance, l’excellence dans la fonction publique, la spécialisation, etc.

 

 En ce qui concerne la question des « conditions de formation » (selon les termes de la Charte), la loi définit les droits et les possibilités des employés locaux dans ce domaine. Dans les faits, des ressources financières publiques considérables sont allouées à cet objectif et des centres de formation spécifiques pour les employés locaux/régionaux ont été mis en place tant au niveau national qu’au niveau déconcentré.

 

 Au niveau national, l’organisme le plus important est le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT)[47], dont le siège se trouve à Paris. Cet organisme propose un éventail impressionnant de cours, de formations et de possibilités de développement de carrière pour les agents territoriaux de tout le pays.

 

 En outre, il existe des centres de formation dans de nombreux endroits en France. Actuellement, le CNFPT compte 29 délégations régionales, ainsi qu’une antenne dans tous les départements.
Ainsi, les salariés locaux n’ont pas besoin de se rendre à Paris pour suivre une formation (sans parler des nombreuses offres d’apprentissage en ligne proposées par le CNFPT).

 

 Dans ce domaine de la formation, la délégation a également entendu les plaintes de certains élus régionaux, qui ont déclaré qu’il y a quelques années les régions avaient des compétences dans le domaine de la formation des fonctionnaires, tandis qu’aujourd’hui l’État a recentralisé cette compétence et les régions ont maintenant un champ de compétences beaucoup plus restreint en la matière.

 

 La délégation n’a pas entendu de plaintes selon lesquelles les conditions d’emploi des fonctionnaires locaux ne seraient pas satisfaisantes et elle est plutôt satisfaite des possibilités de formation et d’évolution de carrière de leurs personnels. Ses interlocuteurs ont cependant déploré que les lois et réglementations nationales laissent aux collectivités locales une marge de manœuvre trop étroite pour définir leur propre politique du personnel ou décider des rémunérations, des perspectives de carrière et des mesures d’incitation.

 

 Compte tenu de ce qui précède, les corapporteurs considère que l’article 6.2 est respecté en France.

Article 7.1
Conditions de l'exercice des responsabilités au niveau local - Article ratifié

Le statut des élus locaux doit assurer le libre exercice de leur mandat.


 L’article 7.1 de la Charte dispose que « le statut des élus locaux doit assurer le libre exercice de leur mandat ». En France, il y a environ 509 000 élus locaux.

 

 L’ensemble des règles juridiques relatives à l’exercice des mandats électifs locaux (membres des conseils municipaux, départementaux et régionaux, membres des organes exécutifs à tous ces niveaux) est appelé le « statut de l’élu local ». Il inclut notamment les aspects suivants : les rémunérations,
la compatibilité avec d’autres fonctions, l’affiliation à la sécurité sociale, la déclaration de patrimoine,
les responsabilités, les droits et possibilités de formation, etc.

 

 Pour sa part, le « Code général » comprend dans son article L1111-1 la « Charte de l´élu local », qui énonce les devoirs des élus locaux et la dimension déontologique de leurs activités. Toutefois, ces normes juridiques ne sont pas rassemblées dans une loi ou codification unique ou harmonieuse.

 

 La Charte exige que ce statut applicable aux élus locaux « assure le libre exercice de leur mandat ». Il s’agit d’une disposition relativement vague, qui permet diverses interprétations, notamment pour le terme « libre exercice » de leur mandat. Selon une interprétation moderne, il est considéré que les élus locaux doivent agir dans un cadre juridique et social exempt de pressions injustifiées ou de menaces pour l’indépendance de leur prise de décisions. Ces pressions peuvent provenir de sources et de situations diverses et peuvent être assimilables à un harcèlement de la part des médias ou du pouvoir central.

 

 De ce point de vue, la situation française présente un aspect satisfaisant dans la mesure où les cas de suspensions de maires et de conseillers municipaux par le pouvoir central sont très rares. Les suspensions ne sont dues qu’à des faits illicites et, en principe, ne sont décidées qu’après une procédure disciplinaire contradictoire.

 

 Ainsi, la loi prévoit qu’un maire ou un adjoint au maire – après avoir été dûment entendu – peut être suspendu par arrêté ministériel, pour une durée maximale d’un mois, pour la commission de faits illicites. Sur la base de ces motifs, ils ne peuvent être révoqués que par un décret motivé adopté par le Conseil des ministres. Le décret de révocation implique que le maire ou le maire adjoint sanctionné ne peut pas exercer ces fonctions pendant une période d’un an. Les deux décisions sont immédiatement contestables par l’élu concerné devant les tribunaux de la juridiction administrative[48].

 

 Les élus locaux ont confirmé à la délégation que, dans la conduite quotidienne de leurs activités, ils se sentent libres et peuvent exprimer librement leurs pensées et leurs opinions politiques, sans ingérence du pouvoir central. Il n’y a pas eu de discussion à ce sujet.

 

 Un autre point, plus sensible, est celui des menaces ou pressions que les maires et élus locaux subissent de la part de la société dans son ensemble, des réseaux sociaux et des citoyens eux-mêmes. De ce point de vue, les interlocuteurs ont souligné à la délégation que depuis quelque temps il y a de plus en plus de cas de discours de haine sur les réseaux sociaux contre les élus locaux/régionaux (principalement les maires) et que certains maires ont même été agressés physiquement par des résidents locaux, ce qui ne s’était jamais produit par le passé[49].

 

 Les corapporteurs considèrent qu’il s’agit d’un problème grave qui suscite de vives inquiétudes et nécessite une politique précise donnant lieu à un ensemble de mesures pour lutter contre ce phénomène inquiétant. Il leur parait souhaitable d’aggraver les sanctions pénales en cas de violences commises sur les élus locaux.

 

 Au cours de la procédure de consultation, les autorités centrales ont partagé l’avis des corapporteurs, quant à la gravité de la situation, soulignant que face à la hausse des violences commises à l’encontre de personnes titulaires d’un mandat électif, plusieurs mesures ont été prises au niveau national afin de renforcer les dispositifs en vigueur. Le Gouvernement a notamment annoncé en juillet 2023 un plan national de prévention et de lutte contre les violences faites aux élus, composé
de 12 mesures et doté de 5 millions d’euros. Ce plan s’appuie sur un centre d’analyse et de lutte contre les atteintes aux élus (CALAE), chargé de coordonner au niveau national l’ensemble des acteurs œuvrant pour la sécurité des élus. Ce plan sera complété par des mesures législatives visant à renforcer la sécurité et la protection des élus, qui sont actuellement en cours de discussion au Parlement.

 

 Les corapporteurs saluent la réactivité des autorités françaises et ces développement récents.  
Ils estiment que l’article 7.1 de la Charte est respecté en France.

Article 7.3
Conditions de l'exercice des responsabilités au niveau local - Article ratifié

Les fonctions et activités incompatibles avec le mandat d'élu local ne peuvent être fixées que par la loi ou par des principes juridiques fondamentaux.


 Les lois et réglementations nationales relatives aux différents types de collectivités locales et celles qui régissent les « conditions d’exercice » des élus recensent les fonctions et activités jugées incompatibles avec l’exercice d’un mandat électif local. Le fait d’être titulaire d’un second mandat public en plus de celui d’élu local/régional est appelé en France le « cumul de mandats ».

 

 Ainsi, l’article L2122-4 du « Code général » énonce différentes règles relatives aux incompatibilités pour les élus locaux :  

 

(a) les fonctions de maire ou d’adjoint au maire sont incompatibles avec l’exercice d’une des fonctions électives suivantes : président d’un conseil régional ou président d’un conseil départemental ;

 

(b) les fonctions de maire ou d’adjoint au maire sont également incompatibles avec celles de membre de la Commission européenne, membre du directoire de la Banque centrale européenne ou membre du conseil de la politique monétaire de la Banque de France ;

 

(c) depuis 2017, les membres de l’organe exécutif de toute entité territoriale (maires et adjoints au maire, présidents et vice-présidents de départements et de régions) ne peuvent pas être en même temps membres du Parlement national ou du Parlement européen. Inversement, il est possible pour une personne d’être membre du Parlement national ou européen et membre du conseil local ; ou membre d’un conseil départemental ou d’un conseil régional.

 

 En revanche, les fonctions de maire et d’adjoint au maire sont incompatibles avec celle de militaire d’active[52]. Tout maire exerçant une fonction le plaçant dans l’une des situations d’incompatibilité susmentionnées cesse de ce fait même d’exercer ses fonctions de maire.

 

 Les activités incompatibles avec l’exercice de la fonction de maire sont donc clairement réglementées dans la loi, du fait qu’il s’agit principalement de mandats locaux exercés à plein temps. Les activités des conseillers municipaux ne sont pas réglementées par la loi, ce qui est compréhensible puisqu’ils n’exercent ce mandat que lorsqu’ils assistent aux séances du conseil et ne sont pas censés être des responsables politiques de profession mais exercer une activité professionnelle manuelle ou intellectuelle dans le secteur privé.

 

 Compte tenu de ce qui précède, la délégation estime que l’article 7.3 de la Charte est respecté en France.

Article 7.2
Conditions de l'exercice des responsabilités au niveau local - Non ratifié

Il doit permettre la compensation financière adéquate des frais entraînés par l'exercice du mandat ainsi que, le cas échéant, la compensation financière des gains perdus ou une rémunération du travail accompli et une couverture sociale correspondante.


 Il doit être souligné d’emblée que la France n’a pas inclus l’article 7.2 parmi les dispositions de la Charte qu’elle a ratifiées. Bien que la France ne soit pas liée par cette disposition, celle-ci mérite cependant d’être évoquée, dans un souci d’exhaustivité.

 

 La rémunération des élus locaux est réglementée, comme de nombreux autres aspects, par les lois et réglementations nationales relatives aux différents types de collectivités locales. Les avantages économiques, les droits et les allocations des élus locaux ont été notablement accrus au cours des dernières années, non seulement dans le sens d’une augmentation de leurs salaires, mais aussi pour permettre une meilleure conciliation entre le rôle professionnel de la personne et son action en tant qu’élu local.

 

 Ces dernières années, différentes règles juridiques ont été promulguées pour accorder à l’élu local plus de droits et d’avantages afin de rendre la « profession » d’élu local plus attractive, en réponse à une certaine crise des vocations, en particulier en milieu rural. Il convient d’examiner ces différents éléments séparément.

 

 En ce qui concerne les rémunérations, le principe ancien de la gratuité du mandat, emblématique du XIXe siècle, est toujours en vigueur aujourd’hui et figure explicitement dans le « Code général » [50].

 

 Par conséquent, l’exercice d’un mandat local n’est pas considéré comme un « emploi » ou une source d’un véritable « salaire ». Depuis 1944-1945, ce principe a toutefois été abandonné dans la pratique, différentes indemnités de voyage et de séjour ayant été incluses dans la législation. Par la suite, des prestations et des allocations ont été introduites sous le nom d’« indemnités de fonction ».

 Techniquement, les élus locaux ne sont pas « payés » pour leur travail, mais ils sont compensés parce qu’ils exercent un mandat électif. En vertu de la réglementation actuelle, les conseillers municipaux reçoivent une indemnité pour les réunions auxquelles ils participent.  Ils sont aussi remboursés de leurs frais de voyage pour tout déplacement officiel hors de la commune. Pour leur part, les maires et leurs adjoints reçoivent une somme mensuelle établie dans la législation nationale et calculée d’après la population de la collectivité locale.

 

264.     « Le système des indemnités de fonction est fondé sur le principe selon lequel le montant de l’indemnité d’un élu doit correspondre aux sujétions auxquelles il est exposé en raison de l’exercice effectif de son mandat. Les indemnités de fonction des élus locaux sont votées par la collectivité dans le respect de plafonds déterminés par la loi. Ces taux maximaux sont fixés par catégorie de mandat et croissants avec la population des collectivités. Ainsi, dans une ville de 1 000 à 3 499 habitants, le montant maximal susceptible d’être accordé au maire est de 2 121€ par mois (avant impôts). Ce plafond augmente progressivement : dans une ville de plus de 100 000 habitants, le montant mensuel est
de 5 960€. »

 

 Ainsi, dans une petite ville comme Dorans (citée ci-dessus), le maire reçoit une indemnité nette de 1 400 €/mois. À l’autre extrémité de l’échelle des salaires se trouvent les maires des plus grandes villes françaises : par exemple, en 2019, la maire de Paris, interrogée par les lecteurs du « Parisien »
(un journal local), a déclaré gagner 6 500 € net par mois, auxquels s’ajoute une indemnité d’environ 1 000 € en tant que vice-présidente de la Métropole du Grand Paris.

 

 Récemment, les « rémunérations » des maires ont été augmentées : il y a deux ans, l’État a revalorisé les rémunérations versées aux élus locaux. Incidemment, cette augmentation a été décidée par le Parlement national. L’État n’a pas transféré aux communes les ressources financières appropriées pour faire face à ces dépenses « supplémentaires » (qui ont été calculées par les responsables locaux à environ 600 millions d’euros). Ces dépenses inattendues et extraordinaires ont dû être payées par les collectivités locales sur leurs propres fonds. Lors de la procédure de consultation, les autorités centrales ont souligné qu’afin d'assurer aux petites communes rurales les moyens nécessaires à la mise en œuvre des mesures relatives aux conditions d'exercice des mandats locaux, une dotation particulière de l’Etat est réservée aux petites communes rurales (Dotation particulière relative aux conditions d’exercice des mandats locaux ou DPEL) et que celle-ci a été significativement augmentée en 2020, son montant passant de 65 millions à plus de 101 millions d’euros. Près de
36 millions ont été concentrés sur les plus petites communes.

 

 Comme indiqué plus haut, les ressources économiques des élus locaux n’incluent pas seulement le « salaire » (sous forme d’indemnités de fonction), mais aussi d’autres éléments, qui visent à rendre attractif l’exercice de fonctions locales et, surtout, à concilier le mandat public avec la carrière professionnelle de l’élu local.

 

 Ainsi, il convient de noter qu’une loi de 1992 a sensiblement amélioré cet aspect de la situation, en prévoyant différentes mesures. Cette loi a amélioré le système d’octroi de congés, en lien avec le mandat local (crédit d’heures) et a apporté des garanties supplémentaires en matière de carrière
(par exemple, le droit pour le maire de retrouver son emploi précédent dans le secteur privé). Elle a reconnu également le droit des élus à la formation, en fixant un nombre minimum d’heures qui pourraient être consacrées à cette fin. En outre, elle a aligné le régime fiscal sur le droit commun et étendu le droit à la retraite pour les élus.

 

 Une loi adoptée en 2019 (loi Engagement et Proximité) a encore élargi les droits des élus locaux, en accordant, entre autres, le droit à un congé électoral de 10 jours, accordé à tous les candidats aux élections municipales aux fins de leur campagne. En outre, cette loi a établi le droit de tous les conseillers municipaux d’être remboursés par la commune des frais de garde d’enfants ou d’assistance aux personnes âgées ou handicapées encourus par l’élu local lorsqu’il doit assister à une réunion obligatoire du conseil.

 

 Actuellement, les élus locaux ont droit à 18 jours de formation pendant leur mandat
(plus 20 heures de formation dans des domaines non liés à leur mandat). En outre, les maires et les maires adjoints ont le droit d’être réintégrés dans leurs emplois antérieurs dans le secteur privé à l’expiration de leur mandat.

 La délégation a évoqué spécifiquement la question des rémunérations des élus locaux[51] lors de la visite de suivi et n’a entendu de leur part aucune plainte invoquant un montant insuffisant de ces rémunérations. Les maires rencontrés lors des visites se sont déclarés généralement satisfaits de leurs « salaires », indemnités et autres avantages similaires. D’autres, au contraire, ont souligné que le système de rétribution empêche les personnes ayant une profession intellectuelle de se consacrer aux affaires publiques (ce qui serait particulièrement vrai dans les petites villes). Ils ont également souligné qu’il y a une perte de talents parmi les conseillers locaux et régionaux, et que la qualité des conseillers locaux est appelée à diminuer, du fait que les diplômés hautement qualifiés préfèrent généralement travailler dans le secteur privé.

 

 Comme indiqué précédemment (cf. para. 2) la France n’a pas ratifié l’article 7.2. Cette absence de ratification s'explique par l'existence de dispositions juridiques qui prévoient que « les fonctions de maire, d'adjoint et de conseiller municipal sont gratuites » (l’article L. 2123-17 du CGCT). C’est par exception à ce principe que des indemnités peuvent être prévues. L'article 3 de la loi NOTRe actualise les dispositions relatives à l'indemnisation des membres des exécutifs communaux et des conseillers municipaux des communes de plus de 100 000 habitants. L'indemnisation des conseillers municipaux des communes de moins de 100 000 habitants demeure facultative.  

 

 Par conséquent, pour pouvoir ratifier efficacement l’article 7.2 une révision législative serait nécessaire pour être conforme à la Charte en droit.  

 

 En conclusion et compte tenu de ce qui précède, les corapporteurs estiment que, dans les faits, l’article 7.2 de la Charte semble être respecté, bien que cette disposition ne soit pas contraignante pour le pays.

Article 8.1
Contrôle administratif des actes des collectivités locales - Article ratifié

Tout contrôle administratif sur les collectivités locales ne peut être exercé que selon les formes et dans les cas prévus par la Constitution ou par la loi.


 Pour des raisons de cohérence et de clarté, l’application de ces deux dispositions de la Charte sera analysée conjointement, car leur sens et leur finalité sont très proches.

 

 Tout d’abord, le système français d’administration locale prévoit des instances de suivi, de supervision ou de contrôle de la part de certains organes et autorités de l’État. Néanmoins, le système a connu une transformation importante depuis 1982. Avant cette date, l’administration de l’État avait une forte emprise sur les actes et les décisions des communes, au point que, selon les termes d’un éminent spécialiste français, « il y avait en France une forme de co-administration des affaires locales » [53].

 

 L’administration déconcentrée de l’État (principalement par l’intermédiaire du préfet) exerçait un contrôle fort sur les décisions, les actions et les initiatives des autorités locales (communes et départements). Cette situation est connue dans la tradition française sous le nom de « tutelle ». Aujourd’hui, on est passé à un système où le contrôle porte essentiellement sur la légalité.

 

 Concernant le contrôle ou la tutelle, la Constitution française actuelle énonce, dans son
article 72, deux principes fondamentaux :

 

(a) d’une part, « aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre ». Cela signifie que les trois niveaux territoriaux de base (communes/départements/régions) sont en principe égaux en droits et qu’aucun n’est placé dans une position de subordination par rapport à un autre ;

 

(b) d’autre part, « dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l’État [...] a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ». Ce représentant de l’État est précisément le préfet. L’autorité politique qui exerce la tutelle ou le contrôle sur les collectivités territoriales reste le préfet, mais d’autres institutions et organes de l’État, qui sont présentés sommairement ci-dessous, doivent également être mentionnés.

 

 Les organes de l’État qui exercent un contrôle ou une tutelle sur les collectivités locales françaises sont essentiellement les suivants :

 

Le préfet.

 

 L’organe ou la figure politique la plus importante dans ce domaine est assurément le préfet.
Il s’agit d’une figure centrale de l’administration déconcentrée française, dont le modèle a été repris dans de nombreux autres pays, comme par la Türkiye (où il est appelé « Vali »), l’Espagne (l’ancien gobernador civil) ou l’Italie (il prefetto). Le préfet est nommé par le président ou par une autorité ministérielle.  Il représente l’État dans le département/région et entretient un lien très particulier avec toutes les entités territoriales du pays : les communes, les départements et les régions sont soumis à son contrôle de légalité. Il entretient en outre de nombreuses autres formes de relations avec ces entités : par exemple, il dirige les forces de police déployées dans le département, en coordination avec les maires.

 

 La décentralisation et la tutelle ont pendant de nombreuses années été les deux faces d’une même médaille. Toutefois, la tutelle sur les collectivités locales et régionales a été abolie en 1982, et actuellement le contrôle exercé par le préfet n’est qu’un contrôle de légalité, en ce sens que le préfet peut poursuivre devant le tribunal administratif toute collectivité locale qui adopte une décision ou un règlement qu’il considère illégal. Le tribunal a toutefois le dernier mot dans le litige, de sorte que le système est totalement judiciaire dans son fonctionnement.

 

 D’une manière générale, le système fonctionne de la façon suivante. Quatre principes de base sont respectés : a) le contrôle du préfet s’étend non seulement à toutes les entités territoriales (communes, départements et régions) mais également aux établissements mis en place pour la coopération intercommunale (EPCI) ; b) le préfet exerce son contrôle sur les décisions et règlements (actes administratifs) qui sont définitifs et exécutifs (force exécutoire) ; c) le contrôle doit se limiter strictement à la légalité, ce qui exclut toute considération d’opportunité ; d) si le préfet invoque l’illégalité d’une de ces décisions, seul le juge administratif a le pouvoir de l’annuler.

 

 Ainsi, le contrôle exercé par le préfet est un contrôle « a posteriori », jamais « a priori »
(comme c’était le cas avant 1982). Aujourd’hui, les autorités locales/régionales n’ont pas besoin de visa ou d’autorisation a priori pour adopter une décision, un plan ou un règlement. 

 

 Le préfet peut réagir lorsqu’il reçoit une information ou une notification concernant une décision, un plan ou un règlement adopté par une commune, un département ou une région. Le préfet est informé de l’existence de telles décisions du fait de l’obligation pour les entités territoriales de l’informer de toute décision, tout plan ou toute réglementation qu’elles adoptent. Récemment, les types de décisions qui doivent être notifiées à la Préfecture ont été restreints, et ces décisions sont communiquées en ligne.

 

 Le préfet n’a pas le pouvoir d’annuler de sa propre autorité une décision, un plan ou un règlement adopté par une autorité territoriale, et il ne peut pas se substituer à une autorité territoriale ni l’« obliger » à adopter une décision donnée. Lorsque le préfet estime qu’une décision ou un règlement est illégal ou présente des irrégularités juridiques, il peut adresser une lettre d’observation à l’autorité locale, en expliquant les raisons pour lesquelles il estime que la décision ou le règlement est illégal.

 

 Dans ce cas, l’autorité locale dispose d’un certain délai pour amender, retirer ou modifier la décision administrative. Dans la pratique, comme l’ont indiqué les interlocuteurs, l’utilisation de ce mécanisme conduit souvent à une sorte de « résolution amiable » du litige des corapporteurs, et l’autorité locale modifie la décision ou la réglementation.

 

 Toutefois, si l’autorité locale ne modifie pas ou ne retire pas la décision controversée, le préfet peut décider de poursuivre cette autorité devant le tribunal administratif. Une procédure judiciaire est alors engagée, le préfet étant le plaignant et l’autorité locale, le défendeur. À l’issue de la procédure, le tribunal administratif peut déclarer la décision illégale et, par conséquent, annuler la décision controversée.

 

 Il est également possible que le préfet demande au tribunal administratif de suspendre la décision locale contestée, pour des raisons d’urgence, pendant la durée de la procédure et jusqu’à ce que le jugement définitif soit prononcé. Cette procédure est appelée « référé ». Toutefois, le préfet ne peut pas suspendre lui-même la décision contestée.

 

 Le préfet est également chargé de contrôler la légalité des consultations et des référendums organisés au niveau local, comme le prévoit l’article L1112-17 du « Code général ». En vertu de cette disposition, tout projet de référendum local, une fois approuvé par le conseil local, doit être transmis au préfet deux mois au moins avant la date de la consultation.

 

 Si le préfet estime que le projet de consultation est illégal, il dispose d’un délai de dix jours à compter de sa réception pour le déférer au tribunal administratif. Il peut assortir son recours d’une demande de suspension du référendum jusqu’à ce qu’une décision judiciaire définitive soit rendue sur sa légalité.

 Outre le « contrôle » ordinaire des décisions et activités locales, le préfet exerce d’importantes compétences de contrôle sur la budgétisation des collectivités locales, qui seront présentées ci-après, en lien avec l’analyse de l’article 9 de la Charte.

 

 Enfin, le préfet n’est pas seulement un « chien de garde » vis-à-vis des autorités territoriales :
il entretient également des relations de coopération et d’assistance avec elles. En effet, le préfet exerce une mission permanente de conseil auprès de ces autorités, afin de prévenir l’adoption de toute décision qui pourrait ne pas être conforme à la loi. Le dialogue entre le préfet et les autorités locales, d’après nos interlocuteurs, est continu. La crise sanitaire de 2020, en particulier, a remis sur le devant de la scène le rôle essentiel du couple « préfet/maire » pour gérer les crises au niveau local.

 

Les Chambres régionales des comptes.

 

 En France l’ensemble du secteur public, peut faire l’objet d’un contrôle de la Cour des comptes. Il existe une Cour des comptes nationale et, dans chaque région, une Chambre régionale des comptes. Leurs membres ont le statut de magistrats. Leur rôle consiste principalement en une activité de contrôle et d’audit plutôt que de règlement de litiges, mais la juridiction peut également être amenée à se prononcer sur des litiges entre des collectivités ou entre une collectivité et l’Etat à l’occasion des contrôles.

 

 En règle générale, la Cour des comptes nationale n’a pas de relations directes avec les autorités territoriales. Cette activité est exercée par chaque chambre régionale, qui contrôle l’activité financière de l’ensemble des communes et départements situés dans « sa » région, et celle de la région elle-même.

 

 D’une manière générale, les chambres régionales des comptes n’exercent aucun contrôle
« a priori » sur les budgets des entités territoriales et n’ont pas de pouvoir d’injonction sur ces autorités. En application du principe constitutionnel de la libre administration, les collectivités locales sont libres d’approuver leurs budgets annuels et de planifier leurs dépenses, dans le respect de certaines règles et limites de base, comme celle qui impose que les budgets soient consolidés et équilibrés.

 

 En général, les chambres régionales n’effectuent qu’un audit externe « a posteriori », intervenant après l’exécution des budgets locaux. À la suite de l’audit, les chambres régionales peuvent émettre des « recommandations ». La loi dispose qu’après un an, l’exécutif local doit présenter à son assemblée délibérante les actions entreprises en réponse aux observations et recommandations de la chambre.

 

 Un cas spécifique de contrôle exercé par les chambres régionales sur les comptes et budgets des collectivités locales résulte de leur intervention à la demande du préfet en matière de contrôle budgétaire. Les budgets des collectivités locales sont soumis à des règles budgétaires strictes et ces règles sont appliquées par le préfet, qui représente l’État.

 

 Si le budget d’une collectivité locale ne respecte pas ces règles, le préfet saisit la chambre régionale des comptes, qui établit un projet de budget (le préfet peut s’en écarter, à condition de motiver sa décision de ne pas suivre la proposition de la chambre). Ce mécanisme permet de réagir à un stade précoce en cas de dégradation de la situation financière d’une collectivité locale et de prendre les mesures nécessaires pour les ramener à l’équilibre. Si cela s’avère nécessaire, le cadre d’un plan pluriannuel est approuvé pour les situations les plus détériorées.

 

 Enfin, toujours sur les questions de contrôle des comptes, les communes sont censées mettre en place des mécanismes d’audit interne, au moyen de commissions de contrôle spécifiques, bien que ce type de contrôle interne ne relève pas du champ de l’article 8.1 de la Charte.

 

 La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (« HATVP »).

 

 Comme tous les élus, les titulaires d’un mandat exécutif local sont assujettis aux lois du 11 octobre 2013, qui visent à prévenir les conflits d’intérêts et à garantir la transparence de la vie publique. Ces lois prévoient l’obligation pour les élus locaux de fournir à la HATVP une déclaration d’intérêts et une déclaration de patrimoine.

 

 Le ministère de l’Intérieur et le Conseil des Ministres.

 

 Ces organes clés de l’administration de l’État peuvent adopter des décisions sur la dissolution des conseils municipaux ou départementaux, mais cela ne se produit que dans les cas très graves de dysfonctionnements et d’irrégularités dans la gestion de la collectivité locale.

 

 L’article 8.1 de la Charte dispose que « [t]out contrôle administratif sur les collectivités locales ne peut être exercé que selon les formes et dans les cas prévus par la Constitution ou par la loi ». Tous les contrôles présentés ci-dessus sont reconnus ou réglementés par la loi. Il n’y a pas de contrôles « informel » ou en dehors de la loi. Par conséquent, les corapporteurs considèrent que l’article 8.1 de la Charte est respecté en France.

 

 En ce qui concerne l’article 8.2, il convient de noter à nouveau que, depuis 1982, le système traditionnel de contrôle fort des communes par le « préfet » s’est transformé en contrôle de la légalité. Ce contrôle de la légalité s’applique non seulement aux communes, mais aussi aux départements et aux régions. Par conséquent, le système est assez uniforme et les mêmes règles s’appliquent, indépendamment de l’entité territoriale concernée.

 

 Pour ces raisons, les corapporteurs considèrent que la France respecte les articles 8.1 et 8.2 de la Charte.

Article 8.2
Contrôle administratif des actes des collectivités locales - Article ratifié

Tout contrôle administratif des actes des collectivités locales ne doit normalement viser qu’à assurer le respect de la légalité et des principes constitutionnels. Le contrôle administratif peut, toutefois, comprendre un contrôle de l’opportunité exercé par des autorités de niveau supérieur en ce qui concerne les tâches dont l’exécution est déléguée aux collectivités locales.


Voir réponse à l'article 8.1.

Article 8.3
Contrôle administratif des actes des collectivités locales - Article ratifié

Le contrôle administratif des collectivités locales doit être exercé dans le respect d’une proportionnalité entre l’ampleur de l’intervention de l’autorité de contrôle et l’importance des intérêts qu’elle entend préserver.


 Comme expliqué aux points précédents, les autorités centrales françaises mettent en œuvre certains mécanismes de « contrôle », de « suivi » ou même de « surveillance » des activités des collectivités territoriales. Comme il a été noté, ces contrôles sont strictement réglementés par la loi, ils sont limités aux contrôles de légalité et, dans les cas où une procédure judiciaire est engagée, le contrôle est en réalité exercé par les tribunaux administratifs eux-mêmes, qui sont totalement indépendants.

 

 Au vu de la situation actuelle, les corapporteurs estiment que le système respecte le principe de proportionnalité énoncé à l’article 8.3 de la Charte. L’ampleur et la portée de ces contrôles n’entraînent pas de pression politique sur les autorités locales, et les contrôles en place ne semblent pas être disproportionnés, au regard des pratiques habituelles dans la plupart des pays européens.

 

 Pour ces raisons, les corapporteurs considèrent que la France respecte l’article 8.3 de la Charte.

Article 9.8
Les ressources financières des collectivités locales - Article ratifié

Afin de financer leurs dépenses d'investissement, les collectivités locales doivent avoir accès, conformément à la loi, au marché national des capitaux.


 Les collectivités territoriales peuvent avoir accès à l’emprunt en tant que source supplémentaire de recettes lorsque les dotations sur le budget de l’État et leurs recettes propres ne sont pas suffisantes. La règle d’or ici est que les collectivités locales et régionales ne peuvent avoir recours à l’emprunt que pour financer des investissements, et non pour financer les coûts ordinaires ou opérationnels, tels que le personnel, etc.

 

 Là encore, les communes et les établissements de coopération intercommunale (EPCI) doivent être regroupés dans la même catégorie. Ainsi, en 2019, le montant total des emprunts de ce groupe d’entités s’élevait à 13,6 milliards d’euros, un chiffre qui a été calculé comme représentant 5,5 % de leurs revenus totaux.[72]

 

 Comme dans beaucoup d’autres domaines, cet aspect de la vie des collectivités territoriales est régi par le « Code général », dont les dispositions principales à ce sujet sont les articles

L.2337-3, L.3336-1, L.4333-1 et L.5211-36. En vertu de ces normes :

 

(a) les communes, les EPCI, les départements et les régions peuvent contracter des emprunts auprès du secteur privé ;

 

(b) la décision d’emprunter relève de la responsabilité du conseil. Toutefois, ce pouvoir peut être délégué au maire (dans les communes), à la commission permanente ou au président du conseil départemental (pour les départements), à la commission permanente ou au président du conseil régional (pour les régions) ou au bureau ou au président (pour les EPCI) ;

 

(c) le contrôle des emprunts des collectivités locales s’exerce selon le principe de l’équilibre budgétaire : en aucun cas les emprunts ne peuvent être utilisés pour couvrir un déficit de fonctionnement ou pour couvrir le coût du remboursement de la dette. En ce qui concerne le contrôle, il est intéressant de noter que les contrats d’emprunt sont considérés comme des contrats de droit privé, qui ne sont pas soumis au contrôle de légalité du préfet. Toutefois, le préfet peut intervenir dans certains cas.

 

 Outre le droit général des collectivités territoriales à l’emprunt et les règles générales présentées ici, il convient de noter qu’il existe en France un type spécifique de « banque publique » ou d’établissement de crédit, dénommé « Agence France Locale », qui a été mis en place en 2013.
Cette « agence » financière travaille spécifiquement avec les collectivités territoriales et leur accorde des crédits. Cet établissement de crédit est détenu à 100 % par les entités territoriales elles-mêmes et n’accorde des prêts aux collectivités territoriales que pour les aider à réaliser des projets d’investissement[73].

 

 Compte tenu de ce qui précède, les corapporteurs estiment que la situation en France est conforme à l’article 9.8 de la Charte.

Article 9.7
Les ressources financières des collectivités locales - Article ratifié

Dans la mesure du possible, les subventions accordées aux collectivités locales ne doivent pas être destinées au financement de projets spécifiques. L'octroi de subventions ne doit pas porter atteinte à la liberté fondamentale de la politique des collectivités locales dans leur propre domaine de compétence.


 Comme dans la plupart des pays européens, en France, l’administration publique centrale alloue chaque année une part importante des ressources financières du budget de l’État aux collectivités territoriales (ainsi qu’aux EPCI). En règle générale, ces transferts de fonds sont appelés « dotations » en France et constituent une partie substantielle des ressources des entités territoriales.

 

 Selon un rapport de 2022 de la Cour des comptes, les transferts de l’État représentent environ
28 % des recettes des collectivités territoriales (d’autres sources parlent d’« un tiers ») [67], mais il s’agit d’un chiffre « moyen », ce qui signifie que la proportion du transfert de l’État est beaucoup plus élevée dans le cas des régions[68].

 

 L’analyse de cet élément des finances locales/régionales en France pose un problème conceptuel. Comme indiqué plus haut, il existe en France des « impôts partagés », en ce sens que certaines entités territoriales (principalement les départements et les régions) perçoivent une partie du produit total de certaines taxes nationales (telles que la taxe sur la valeur ajoutée et la taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques).

 

 Étant donné que, dans les deux cas, il y a un transfert net de ressources financières de l’État vers les entités territoriales, on peut se demander si ces impôts partagés ne sont pas en réalité également des « dotations ». Techniquement, du moins dans le système financier français, elles ne le sont pas, et la part de la collecte fiscale est considérée comme une « ressource propre » des entités territoriales, et non comme une « dotation ».

 

 Les dotations de l’État sont au centre du débat politique concernant les collectivités territoriales.
Le système de ces dotations allouées aux collectivités locales et régionales est complexe et peut être présenté autour des idées suivantes.

 

 Tout d’abord, il convient de préciser que ces dotations sont attribuées exclusivement par l’État.
Par conséquent, les départements n’allouent pas de dotations aux communes et les régions n’en allouent ni à « leurs » communes ni à « leurs » départements. Tous les niveaux de collectivités territoriales sont « indépendants » les uns des autres. Cependant, il peut y avoir des dotations d’investissement versées par plusieurs collectivités sur un même projet.

 

 Il existe différents types de dotations (jusqu’à vingt) et certaines d’entre elles ont un but de péréquation (examiné ci-dessus). Certaines sont réservées à des fins spécifiques (notamment dans le cas d’investissements), tandis que d’autres ne le sont pas (si elles visent à couvrir les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales).

 

 Si l’on considère rétrospectivement les 30 dernières années, les dotations de l’État ont augmenté de manière significative (tandis que dans le même temps la proportion des « impôts locaux » a diminué de manière constante, du fait de la suppression de divers impôts locaux, comme on l’a vu). Ainsi, entre 1996 et 2010, les dotations et transferts alloués par l’État aux budgets des entités territoriales sont passés de 37 milliards d’euros à 75,4 milliards d’euros, ce qui représente une augmentation de 103 %[69].

 

 La plus importante dotation de l’État visant à aider les entités territoriales à faire face à leurs dépenses de fonctionnement est - une fois de plus - la Dotation générale de fonctionnement (DGF) : comme on l’a vu, cette dotation comporte un pilier qui est un montant forfaitaire ou une dotation globale.

 

 Cette partie de la DGF n’est pas réservée. Le montant de cette dotation importante est déterminé chaque année par le gouvernement dans la loi annuelle sur le budget (loi des finances), sur la base du cadre législatif, de la planification financière pluriannuelle du secteur public, des résultats des consultations-négociations avec les autorités territoriales (notamment dans le cadre du Comité des finances locales, voir ci-dessus). À l’issue de ce processus décisionnel, le montant réel de cette dotation est finalement inclus dans le budget annuel de l’État, qui est examiné et finalement approuvé par le Parlement.

 

 En 2014, le montant de cette dotation était de 40,1 milliards d’euros, mais ce montant a été réduit une première fois en 2015 (36,6 milliards d’euros) et une deuxième fois en 2016 (30,9 milliards d’euros). En 2022, le montant s’élevait à 26,6 milliards d’euros. Ces chiffres confirment la véracité de certaines des allégations des élus locaux mentionnées ci-dessus en lien avec les articles 9.1 et 9.2 de la Charte (réduction progressive de certaines dotations de l’État).

 

 Il est important de noter que les bénéficiaires de la DGF sont les communes, les établissements de coopération intercommunale (EPCI) et les départements, tandis que les régions n’en bénéficient pas. C’était le cas il y a quelques années, mais en 2018 l’État a décidé que les régions ne figureraient plus parmi les bénéficiaires de ce fonds. Au lieu de cela, l’État a fixé une fraction ou « part » du produit total de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), au motif de compenser cette perte de revenus pour les régions.

 

 Outre les dotations et transferts « libres » ou « forfaitaires », l’État alloue également différents types de transferts aux autorités locales sous la forme de dotations réservées, principalement pour aider les entités territoriales à réaliser des projets d’investissement.

 

 Il existe en la matière différents régimes ou programmes, chacun ayant ses propres règles, critères, dotations et bénéficiaires. Aussi se bornera-t-on ici à mentionner les plus importants d’entre eux :

(a) la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) ;

(b) la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) ;

(c) la dotation politique de la ville (DPV) ; et

(d) la dotation de soutien à l’investissement des départements (DSID).

 

 Pour 2022, l’État a indiqué avoir alloué environ 2 milliards d’euros à ces dotations, qui ont permis de financer plus de 27 000 projets réalisés par des communes, des EPCI et des départements dans l’ensemble du pays[70].

 

 Dans ce domaine des subventions à l’investissement, les élus locaux ont affirmé à plusieurs reprises que l’État recourait de plus en plus à des dotations réservées chaque fois que des investissements locaux étaient en jeu (pour la construction d’installations et d’infrastructures locales). Cette tendance est d’une importance et d’une ampleur telles qu’elle a reçu un nom spécifique : les « actions contractualisées ». Dans le cadre de ce régime, l’État publie un appel d’offres ouvert, « offrant » la possibilité de cofinancer certains investissements au niveau local et régional. La collectivité locale intéressée doit signer une convention avec l’État, fixant tous les détails de l’investissement. Toutefois, c’est l’État qui décide où et comment les fonds seront dépensés : par exemple, quelle route locale ou quelle école doit être rénovée.

 

 Ce système de financement est généralement appelé « contrats de Cahors », car il a été adopté lors d’une importante conférence territoriale qui s’est tenue dans la ville de Cahors en 2017. Les élus locaux ont uniformément évalué ce système de financement de manière négative du point de vue de l’autonomie locale[71].

 

 Ces dispositifs de mise en concurrence sont unanimement perçus par les élus locaux comme vexatoires, assimilés à une forme de « mise sous tutelle » de la part du gouvernement. Ils affirment que ce régime remet en cause l’autonomie financière des collectivités locales.

 

 Pour sa part, le Gouvernement défend le bien-fondé et l’opportunité de ce dispositif, dont il affirme qu’il « associe » les collectivités locales à la stratégie nationale d’investissement.

 

 En résumé, actuellement, une part croissante des dotations de l’État allouées aux collectivités locales à des fins d’investissement est affectée au financement de projets spécifiques, qui sont décidés unilatéralement par l’État et sur lesquels les collectivités locales n’ont aucune marge de manœuvre.

 

 Compte tenu de ce qui précède, et en raison surtout de l’importance croissante de la « Dotation générale de fonctionnement », les rapporteurs estiment qu’il y a une violation partielle de l’article 9.7 en France.

Article 9.6
Les ressources financières des collectivités locales - Article ratifié

Les collectivités locales doivent être consultées, d'une manière appropriée, sur les modalités de l'attribution à celles ci des ressources redistribuées.


 La structure générale de la consultation des collectivités territoriales par l’État a été examinée
ci-dessus en lien avec l’article 4.6 de la Charte. Ici, nous devons nous concentrer sur une consultation spécifique, portant « sur les modalités de l’attribution [aux collectivités locales] des ressources redistribuées ». Bien que la formulation littérale de la Charte semble se limiter à une question très étroite (l’attribution des ressources), cette disposition est généralement comprise comme couvrant la consultation des autorités locales en matière financière, au sens large.

 

 Dans cette perspective, il convient de noter qu’il existe en France un organe spécifique de consultation des collectivités locales ou de négociation politique intergouvernementale sur les finances locales, le « Comité des finances locales ». Cet organe a été créé par une loi nationale en 1996. Il est composé de membres du Parlement et d’élus des régions, des départements, des communes et des établissements de coopération intercommunale, ainsi que de représentants de l’administration centrale.

 

 Concrètement, ce comité est composé de deux députés, deux sénateurs, deux présidents de conseil régional élus par leurs pairs, quatre présidents de conseil départemental élus par leurs pairs, sept présidents d’établissement de coopération intercommunale élus par leurs pairs, quinze maires élus par leurs pairs, dont certains représentent des territoires d’outre-mer, et onze représentants de l’État nommés par décret des ministres concernés. Le comité est renouvelé tous les trois ans, le dernier renouvellement ayant eu lieu fin 2023.

 

 La mission la plus importante de ce comité est d’examiner et de contrôler l’attribution de la « dotation générale de fonctionnement », qui, comme on l’a vu, est la subvention la plus importante que l’État alloue aux collectivités territoriales[66]. En outre, le Comité exerce des fonctions consultatives spécifiques. Par exemple, il est censé fournir au Gouvernement et au Parlement les analyses nécessaires pour préparer les dispositions du projet de loi de finances annuel qui concernent les collectivités locales, ainsi que sur les méthodes d’évaluation et sur le montant de la compensation pour les transferts de compétences entre l’État et les collectivités locales.

 

 En outre, le Comité « peut » être consulté par le Gouvernement sur tous les projets de loi, amendements ministériels et règlements financiers concernant les collectivités locales. Toutefois, il convient de noter que, dans ces cas, l’État n’est pas obligé de consulter le Comité, cette demande d’avis étant facultative.

 

 Il a été rapporté à la délégation que les élus locaux étaient convoqués aux réunions du Comité et « informés » par les représentants de l’État des décisions qui auraient déjà été prises. Il n’y avait, d’après les interlocuteurs des corapporteurs, pas de véritables consultations permettant des négociations sur les mesures proposées.

 

 Cependant, il est difficile de prouver la véracité de cette allégation. Le Comité existe, il est convoqué périodiquement et des travaux ont lieu. Ici encore, la délégation regrette que la réunion avec les représentants du ministère de l’Économie et des Finances n’ait pas eu lieu. Quoi qu’il en soit, le fait que les élus locaux/régionaux n’aient pas été en mesure d’éviter ou d’empêcher les nombreux développements négatifs produits dans le domaine des finances locales au cours des 20 dernières années pourrait conforter les allégations entendues.

 

 Outre cette structure spécifique de « consultation », il ne faut pas oublier le rôle spécifique du Sénat pour représenter la voix des collectivités locales dans les travaux et débats parlementaires, chaque fois qu’une proposition de loi touchant les finances locales est déposée. Cette contribution du Sénat, bien que ne devant pas exclure la consultation des principales associations nationales, devrait être particulièrement importante lorsque la loi sur le budget de l’État (loi de finances) est examinée chaque année au Parlement.

 

 Compte tenu de ce qui précède, les corapporteurs considèrent que la situation en France est conforme à l’article 9.6 de la Charte.

Article 9.5
Les ressources financières des collectivités locales - Article ratifié

La protection des collectivités locales financièrement plus faibles appelle la mise en place de procédures de péréquation financière ou des mesures équivalentes destinées à corriger les effets de la répartition inégale des sources potentielles de financement ainsi que des charges qui leur incombent. De telles procédures ou mesures ne doivent pas réduire la liberté d'option des collectivités locales dans leur propre domaine de responsabilité.


 La Constitution française contient une disposition qui va clairement dans le sens de cet article. Précisément, son article 72-2 dispose que « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales ». Dans une décision du 17 juillet 2003, le Conseil constitutionnel français a précisé que cette disposition « a pour but de concilier le principe de liberté avec celui d’égalité par l’instauration de mécanismes de péréquation financière ».

 

 Par conséquent, la Constitution requiert l’existence de mécanismes de péréquation, mais elle-même ne réglemente pas en détail la nature de ces mécanismes et laisse largement aux législateurs la définition et les détails techniques de ces mécanismes.

 

 La péréquation financière est principalement réalisée au niveau local et entre les communes, au moyen de différents instruments qui sont examinés ci-après. Pour commencer, il convient de distinguer deux types de péréquation financière : la péréquation verticale et la péréquation horizontale.
La première consiste en un transfert de fonds ou de subventions spécifiques de l’État vers les collectivités territoriales financièrement plus faibles (une forme de « redistribution » des richesses). La seconde consiste en une redistribution des revenus perçus par les communes entre elles (ou entre les départements ou entre les régions). Dans ce cas, le mécanisme de péréquation fonctionne au sein du même « niveau territorial » entre collectivités « riches » et « pauvres ».

 

Péréquation verticale

 

 La péréquation verticale est réalisée principalement par l’attribution de la « Dotation générale de fonctionnement » (DGF), qui est la plus importante subvention que l’État accorde aux collectivités locales (d’un montant de 26,8 milliards d’euros dans la loi de finances pour 2022). La DGF comprend une part « forfaitaire » et une part « péréquation », laquelle inclut elle-même plusieurs éléments.

 

 La part de la DGF qui poursuit un objectif de péréquation représentait 32 % de la dotation totale du fonds en 2022, soit 8,6 milliards d’euros. Elle est composée de subventions destinées à des autorités spécifiques. Dans le cas des communes, la subvention la plus importante est la « dotation de solidarité urbaine » (DSU). Cette fraction disposait en 2022 d’une dotation budgétaire de 2,6 milliards d’euros. Ce montant est réparti entre les communes les plus faibles, selon un ensemble complexe de critères et de variables.

 

 En outre, une autre subvention globale est destinée exclusivement aux communes rurales (villes et villages). Il s’agit de la « dotation de solidarité rurale » (DSR), dont le montant en 2022 est de
1,9 milliard d’euros. De plus, la « dotation nationale de péréquation » vise à compenser les différences de potentiel fiscal de certaines communes. En 2022, elle disposait d’une dotation de quelque 0,8 milliard d’euros.

 

 En ce qui concerne les établissements de coopération intercommunale (EPCI), ils disposent de leur propre dotation globale destinée à la péréquation, dénommée « dotation d’intercommunalité » et dont la dotation budgétaire était en 2022 de 1,7 milliard d’euros).

 

 Dans le cas des départements, il existe également un mécanisme de péréquation spécifique sous la forme d’une dotation globale, dénommée « dotation de péréquation urbaine », dont la dotation budgétaire était en 2022 de 0,6 milliard d’euros.

 

 Enfin, pour le cas spécifique des départements à caractère essentiellement rural, il existe une autre dotation globale, appelée « dotation de fonctionnement minimale », dont la dotation budgétaire était en 2022 de 0,9 milliard d’euros.

 

Péréquation horizontale

 

 Dans le cadre des mécanismes de péréquation horizontale, les montants sont prélevés sur les collectivités les plus riches au profit des plus pauvres d’entre elles, sur la base d’une série d’indicateurs de ressources et de dépenses.

 

 Jusqu’en 2010, la péréquation horizontale était principalement concentrée en Île-de-France,
où la ville de Paris était un contributeur net au système, mais actuellement elle est généralisée à l’ensemble du pays. Par exemple, dans la loi de finances annuelle pour 2022, la péréquation verticale (part de la DGF destinée à la péréquation) a été fixée à 8,6 milliards d’euros, alors que la péréquation horizontale portait environ sur 4,5 milliards d’euros.

 

 À cet effet, différents dispositifs (sous forme de « fonds » ciblant différentes catégories de collectivités territoriales) ont été mis en place, tels que le « fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales », pour les communes, ou le « fonds de péréquation des ressources des régions », pour les régions.

 

 Lors des diverses réunions avec la délégation, les élus locaux ont indiqué qu’ils étaient globalement satisfaits du système actuel de péréquation financière.

 

 Compte tenu de ce qui précède, les corapporteurs considèrent que la situation en France est conforme à l’article 9.5 de la Charte.

Article 9.3
Les ressources financières des collectivités locales - Article ratifié

Une partie au moins des ressources financières des collectivités locales doit provenir de redevances et d’impôts locaux dont elles ont le pouvoir de fixer le taux, dans les limites de la loi.


 Il faut là encore commencer par examiner la Constitution nationale, pour voir si les exigences de l’article 9.3 y sont également incluses. Elles le sont effectivement : L’article 72-2 de la Constitution française énonce clairement deux règles importantes : premièrement, les collectivités locales/régionales « peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l’assiette et le taux dans les limites qu’elle détermine.

 

 La Constitution prévoit également que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en œuvre ».

 

 La question de la fiscalité locale est extrêmement complexe en France, parce qu’il existe trois types fondamentaux d’entités, chacune ayant sa propre situation et sa propre fiscalité, parce que certaines taxes sont facultatives et parce que la différence est parfois floue entre les véritables « taxes locales » et les « redevances ». Les taxes locales ou « propres » puis les droits et redevances feront l’objet d’un examen successivement.

 

Taxes locales/régionales

 

 Il convient d’indiquer certains éléments concernant la fiscalité locale en France.

 

 Tout d’abord, les entités territoriales ne peuvent pas créer ou établir de nouvelles taxes pour alimenter leur budget, en dehors de celles qui sont fixées par la loi. La fiscalité locale est donc entièrement régie par les lois et règlements nationaux.

 

 En outre, depuis 1980, les entités territoriales ont la capacité de décider des taux des quatre impôts directs traditionnels (le droit de « voter » ces taux, selon la terminologie française). Cependant, depuis 2011, les régions ne « votent » plus le taux d’aucun impôt direct local. La liberté de fixer le taux des impôts est désormais réservée aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dotés de compétences fiscales (intercommunalités à fiscalité propre).
Les départements et les régions ont un pouvoir fiscal très réduit.

 

 La loi encadre cette liberté dans des limites précises, afin d’éviter les inégalités de traitement entre les contribuables à l’échelle nationale. La norme la plus pertinente en la matière est la loi de finances annuelle.

 

 La fiscalité locale en général et les pouvoirs d’imposition des collectivités locales relevant du pouvoir législatif national et certaines dispositions votées par le Parlement en fonction de considérations de politiques publiques peuvent impacter cette fiscalité et le pouvoir de vote de taux.    

 

 Enfin, les collectivités territoriales françaises n’ont pas le pouvoir de percevoir leurs propres impôts par le biais de leur personnel et de leurs services. Le pouvoir de percevoir les impôts est considéré comme un monopole de l’État et le principe du Trésor unique pour toute la nation est strictement appliqué. Ainsi, l’État collecte les impôts locaux et transfère ensuite les montants perçus à chaque entité territoriale.

 

Les communes

 

 Traditionnellement, les principales taxes locales sont les suivantes :

 

(a) La taxe foncière :  il s’agit de la plus importante de toutes les taxes du bloc communal. Le taux de cette taxe payée par les propriétaires de biens immobiliers est déterminé par le conseil municipal ou le conseil communautaire sous réserve du respect de plafonds prévus par le code général des impôts.
La base imposable est la valeur du bien immobilier, qui est déterminée par l’administration fiscale sur la base de déclarations des propriétaires sur la consistance du bien.

 

 Cette taxe inclut en réalité deux composantes : la taxe foncière sur les propriétés non bâties et la taxe foncière sur les propriétés bâties.

 

 Dans ce domaine, une plainte récurrente formulée par de nombreux dirigeants locaux est que les biens immobiliers n’ont pas été réévalués depuis longtemps. Certains ne l’ont pas été depuis les années 1970. Comme cette opération ne peut être réalisée que par l’État, les communes se sentent impuissantes à augmenter la base imposable, qui est très différente des prix réels du marché.

 

(b) La taxe d´habitation. Cette taxe porte sur le fait de « résider » dans un logement ou une maison et elle est théoriquement différente de la taxe foncière. Il est à souligner que cette taxe a toujours été une source de revenus très importante pour les communes. Cependant, il y a quelques années, l’État a entrepris une réforme en vertu de laquelle cette taxe a été progressivement supprimée, une suppression qui est devenue totale pour les résidences principales au 1er janvier 2023.

 

 Cette réforme a été la source de nombreuses controverses dans le monde des communes françaises. Aujourd’hui, la résidence principale n’est plus assujettie à cette taxe, qui ne « survit » qu’en tant que taxe frappant les résidences secondaires (par exemple les maisons qui ne sont utilisées que pendant les vacances d’été ou les week-ends) et les autres locaux meublés qui ne sont pas imposés à la cotisation foncière sur les entreprises. Appelée « taxe d’habitation sur les résidences secondaires et autres locaux meublés non affectés à l’habitation principale », elle est calculée sur la base de la valeur locative cadastrale (le loyer annuel que le bien pourrait produire s’il était loué). Le montant de la taxe est obtenu en multipliant cette valeur locative par un taux d’imposition, taux qui est déterminé par le conseil municipal et communautaire. Ce taux est lié notamment à l’évolution des autres taux d’imposition en cas de variation proportionnelle ou au taux de TFPB en cas de variation différenciée.

 

(c) Dans certaines communes qui relèvent des zones tendues au sens de l’article 232 du CGI, les propriétaires fonciers sont tenus, sauf exceptions, de payer une taxe, frappant les maisons ou les appartements qui ne sont pas utilisés comme résidence, c’est-à-dire qui sont « vacants ». Cette taxe (peu importante dans les chiffres globaux) est appelée la taxe annuelle sur les logements vacants (TLV). Hors zone tendue, les communes peuvent rétablir la taxe d’habitation sur ces locaux meublés, (THLV).

 

(d) La taxe sur la vente de terrains non bâtis rendus constructibles. Cette taxe frappe la plus-value qu’une modification du plan local d’urbanisme peut produire sur le terrain d’un particulier. Dans le cadre de ce régime, le propriétaire qui vend un terrain qui n’est pas construit, mais qui a été rendu constructible à la suite de la modification du plan d’urbanisme local, doit payer une taxe sur la plus-value réalisée à l’occasion de la vente (il a acheté un terrain non constructible mais vend un terrain constructible, qui a une valeur marchande plus élevée). Le conseil local peut choisir parmi les différents taux possibles, qui sont définis dans la législation régissant cette taxe.

 

Les départements

 

 Traditionnellement, les départements étaient habilités à percevoir, en totalité ou conjointement avec les communes et les EPCI à fiscalité propre, le produit des taxes suivantes : a) la taxe foncière sur les propriétés bâties (la même que ci-dessus), la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, les impositions forfaitaires de réseau, les droits de mutation à titre onéreux et la taxe sur les opérations minières (redevance des mines).

 

 Toutefois, ces dernières années, des changements importants ont eu lieu dans ce domaine : depuis 2021, les départements n’ont plus droit à la taxe foncière susmentionnée. En compensation, l’État a accordé aux départements une part du produit de la taxe sur la valeur ajoutée, laquelle est un impôt national mais dont le produit est partagé avec les collectivités territoriales (impôts partagés).
De même, le Parlement a supprimé la CVAE compensée pour les départements par une fraction de TVA dynamique.

 

 On peut voir ici un autre symptôme clair de la tendance dénoncée par les représentants locaux : les collectivités locales sont privées de véritables « taxes locales » sur lesquelles elles ont un pouvoir de taux et les recettes sont remplacées par une « part » ou un pourcentage du produit global de certaines taxes nationales. Cette mesure prive les collectivités d’une autonomie et d’un pouvoir de décision en matière de recettes fiscales, car les taxes de « remplacement » sont entièrement réglementées et gérées par l’État.

Les régions

 La principale source de financement qui peut être considérée comme relevant des « taxes locales », pour les régions, est traditionnellement la « cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises » (CVAE). Cette taxe faisait partie de la contribution économique territoriale (CET) qui a remplacé la taxe professionnelle en 2010. Elle frappe les entreprises qui ont un volume d’affaires supérieur à un certain seuil, actualisé régulièrement par la loi (500 000 € par an lors de la dernière actualisation).

 

 Il convient toutefois de noter que, ces dernières années, la CVAE a subi d’importants changements. D’une part, en 2021, l’État a décidé de supprimer cette source de financement pour les régions et de la remplacer par une part du produit total de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dynamique.

 

 Une autre source de recettes budgétaires pour les régions réside dans la taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques (TICPE). Toutefois, il s’agit d’une taxe nationale et l’État attribue une part ou un pourcentage de son produit total aux régions.

 

 En dehors de celle-ci, il existe une autre taxe mineure pour les régions, à savoir la taxe sur les certificats d’immatriculation des véhicules, communément appelés « cartes grises ».

 

 Dans le cas des territoires d’outre-mer, certaines spécificités peuvent être relevées. Par exemple, dans le cas de l’île de la Réunion, cette collectivité territoriale fixe le taux de la taxe sur les produits énergétiques et la perçoit sur l’île. Cette collectivité perçoit également une taxe appelée « octroi de mer » qui bénéficient également les communes de cette île.

 

 La situation des recettes « fiscales » des régions constitue (comme dans le cas des départements) une autre preuve de la situation dénoncée par les élus locaux : (a) la substitution de véritables taxes « locales » par des parts sur le produit de taxes nationales et (b) la suppression ou la réduction de la fiscalité locale pour des raisons de politiques économiques nationales de l’État.

 

 Lors de la procédure de consultation, les autorités centrales ont souligné que la valeur locative servant à l’établissement des impositions locales des locaux professionnels a fait l’objet d’une révision en 2017 et que la prochaine révision des valeurs locatives des locaux d’habitation devrait intervenir en 2028. Elles ont noté que la suppression de la taxe d’habitation était accompagnée d'une compensation intégrale aux collectivités dès 2021, sous forme d'affectations de ressources dynamiques spécifiques : la Taxe Foncière sur les Propriétés Bâties (TFPB) pour les communes, une part de l'impôt partagé et la TVA pour les EPCI et les départements, visant à préserver l'autonomie financière des collectivités.

 

 Ainsi, les autorités centrales estiment que, bien que les départements et les régions ne disposent pas d’un pouvoir de taux, elles disposent de ressources dynamiques qui leur permettent d’assurer l’ensemble de leurs compétences, et que l’État assure une compensation des ressources supprimées de manière dynamique.

 

Droits et redevances :

 

 Les collectivités locales peuvent percevoir des droits et des « redevances », ce dernier terme étant généralement employé en français pour les désigner. Comme indiqué ci-dessus, il s´agit d´une ressource « propre » au sens de l´article 72-2 de la Constitution.  Par exemple, les communes françaises perçoivent des redevances et des droits auprès de leurs résidents pour l’utilisation des installations et équipements locaux (tels que les piscines publiques) ou pour la fourniture de services locaux, tels que l’assainissement des eaux usées urbaines.

 

 Dans le cas de Paris, par exemple, la ville perçoit des droits d’entrée ou des billets pour visiter certaines des attractions touristiques phares de la Ville Lumière, comme la tour Eiffel ou les catacombes (de nombreux musées locaux sont toutefois gratuits).

 

 Cependant, la différence entre une véritable « taxe » et un « droit » ou une « redevance » peut ne pas être totalement claire, car la collectivité locale peut décider de créer l’une ou l’autre. Le meilleur exemple de ce dernier cas est la collecte des ordures ménagères, qui peut être financée par une taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) ou par une redevance d’enlèvement des ordures ménagères (REOM). Nous nous concentrerons ici sur cette dernière.

 

 Ainsi, la REOM doit être payée par les résidents locaux qui utilisent effectivement le service local d’enlèvement des ordures ménagères. Par conséquent, c’est à la personne qui vit effectivement dans le logement de payer la REOM. La redevance est calculée en fonction de l’importance du service fourni (volume d’ordures et de déchets collectés, notamment). Différents tarifs sont possibles. Dans certains cas, il y a une combinaison d’une part fixe et d’une part proportionnelle. Dans d’autres cas, il existe un taux forfaitaire par ménage, multiplié par le nombre de personnes qui le composent. Le conseil municipal ou communautaire décide des dates de facturation et de paiement de la REOM.

 

 Compte tenu de ce qui précède, les corapporteurs estiment que la situation concernant les droits et redevances est satisfaisante, mais que la fiscalité locale présente une situation très critique : dans le cas des communes les taxes locales sont insuffisantes et ont été fortement réduites ces dernières années, dans le cas des départements et des régions le poids relatif des taxes est très réduit.

 

 Par conséquent, les corapporteurs estiment que la France respecte partiellement l’article 9.3 de la Charte et qu’il existe une marge d’amélioration substantielle en ce qui concerne les régions et les départements.

Article 9.2
Les ressources financières des collectivités locales - Article ratifié

Les ressources financières des collectivités locales doivent être proportionnées aux compétences prévues par la Constitution ou la loi.


Voir réponse indiquée à l'article 9.1.

Article 9.1
Les ressources financières des collectivités locales - Article ratifié

Les collectivités locales ont droit, dans le cadre de la politique économique nationale, à des ressources propres suffisantes dont elles peuvent disposer librement dans l’exercice de leurs compétences.


 L’analyse du respect de l’article 9.1 et de l’article 9.2 de la Charte sera menée conjointement, du fait qu’ils sont étroitement liés.

 

 Comme pour beaucoup d’autres aspects, cette analyse doit commencer par la consultation de la Constitution. En ce sens, la Constitution française comprend plusieurs dispositions qui sont pertinentes pour l’article 9.1 et l’article 9.2 de la Charte. Ainsi, la disposition clé est l’article 72-2, qui dispose notamment ce qui suit :

 Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi.

 Tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice.

 Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi.

 

 Par conséquent, la Constitution française évoque bien la question des finances locales/régionales et énonce plusieurs principes qui, sur le fond, vont dans le même sens que les exigences posées par la Charte.

 

 Pour les experts français, ces dispositions constitutionnelles consacrent « l’autonomie financière » des autorités territoriales, sans la nommer[54]. En outre, une loi « organique » du
29 juillet 2004 a défini les « ressources propres » de ces entités et établi la règle selon laquelle ces ressources doivent être au moins « la part déterminante » de leurs ressources ; de plus, cette part ne peut être inférieure au niveau constaté au titre de l’année 2003 (soit 60,8% pour les communes et EPCI, 58,6 % pour les départements et 41,7 % pour les régions).

 

 Ainsi, les collectivités locales françaises ont droit à des ressources financières propres, dont elles peuvent disposer dans l’exercice de leurs compétences.

 

 Selon un rapport spécifique de la Cour des comptes de 2022, les ressources locales propres représentent actuellement environ la moitié de l’ensemble des recettes des collectivités locales, Toutefois, cette répartition est très inégale entre les différents niveaux de collectivités : tandis qu’elles représentent 65,8 % pour les communes et EPCI, les ressources locales des départements ne représentent que 34,3 % de leurs recettes, et 17,2 % de celles des régions[55].

 

 Pour reprendre les termes d’un expert français, « les ressources des collectivités locales sont nombreuses, complexes, différentes pour chaque niveau et en constante évolution »[56]. En effet, les recettes financières des trois entités territoriales de base sont très différentes entre elles, et même au sein de la catégorie des communes la situation peut être assez diverse, sur la base de facteurs tels que leur population ou leur localisation, ou sur la base de décisions ad hoc adoptées par leur conseil.
Par conséquent, il est très difficile de fournir une présentation complète de cette question complexe dans le présent rapport, qui doit être court et concis.

 

 Une autre source de complexité réside dans le système français, qui est unique en ce sens que les mécanismes institutionnels de coopération intercommunale sont très développés, probablement plus que dans d’autres pays européens. En règle générale, ces organismes sont appelés « établissements publics de coopération intercommunale » ou « EPCI ». Une caractéristique frappante de ces EPCI est que certains d’entre eux sont dotés de leurs propres pouvoirs fiscaux (« EPCI à fiscalité propre »). 

 

 En d’autres termes, ces structures intercommunales ont le droit de prélever des impôts en plus de ceux qui sont perçus par les communes ou, dans certains cas, à la place des communes
(par exemple, la taxe professionnelle, abolie en 2010). Par conséquent, l’analyse de cette dimension doit faire partie de l’examen de l’application de l’article 9 de la Charte.

 

 D’un point de vue juridique, la caractéristique la plus importante est que toutes les règles juridiques régissant cette question sont des règles nationales ; il n’y a pas de règles juridiques régionales ou « d’outre-mer » substantielles sur la question. Les textes législatifs les plus importants sont, encore une fois, le « Code général », les lois et règlements régissant les différents impôts (Code général des impôts ainsi que le Code général des collectivités territoriales et le Code des impositions sur les biens et services) et les lois annuelles sur les finances et le budget nationaux.

 

 À ce stade de l’exposé des motifs, il est nécessaire de présenter sommairement les différentes sources de recettes des entités territoriales et, par la suite, d’essayer de conclure si ces ressources sont « suffisantes », si les collectivités peuvent en « disposer librement » et si elles sont « proportionnées » à leurs compétences légales.

 

 Le point de départ est ici encore le « Code général », qui à l’article LO 1114-2 décrit les ressources propres des entités territoriales. Les ressources propres des collectivités territoriales sont constituées :

 

 « du produit des impositions de toutes natures dont la loi les autorise à fixer l’assiette, le taux ou le tarif, ou dont elle détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d’assiette, des produits financiers et des dons et legs ». Cette disposition semble distinguer les véritables « impôts locaux » au sens de la Charte et les « impôts partagés ». Ils doivent être présentés séparément.

 

 Impôts propres : les collectivités territoriales françaises ont un pouvoir d’imposition limité.
Les collectivités du bloc communal (communes et EPCI) disposent d’un pouvoir fiscal sur un nombre d’impositions de toute nature notamment sur les taxes foncières, la cotisation foncière des entreprises et la taxe d’habitation sur les résidences secondaires et autres locaux meublés non affectés à l’habitation principale. Les départements et les régions ont un pouvoir d’imposition très limité. En réalité, les pouvoirs d’imposition de ces collectivités ont été progressivement réduits et finalement supprimés par différentes lois nationales. Ces impôts sont présentés ci-dessous en lien avec l’article 9.3 de la Charte.

 

 Impôts partagés : les collectivités locales ont droit à une part ou une proportion du produit annuel de certains impôts nationaux. En effet, de nombreuses recettes allouées au bloc communal, aux départements et aux régions sont constituées d’une part des impôts nationaux, considérés par la loi comme des « recettes propres ». Malgré cette terminologie, les collectivités locales/régionales ne disposent d’aucun pouvoir réglementaire ou exécutif en ce qui concerne ces impôts : elles ne les collectent pas, elles n’ont pas le droit d’imposer un supplément sur le taux fixé par le pouvoir central, etc. Les collectivités locales n’ont, au mieux, qu’un rôle limité dans la réglementation et la collecte de ces impôts : elles reçoivent simplement ces fonds du pouvoir central.

 

 Dans un rapport de 2022 sur le financement des collectivités territoriales, la Cour des comptes française indique que la fiscalité nationale partagée représente aujourd’hui environ 21 % des recettes des collectivités, avec trois principaux impôts, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA, pour 37,4 Md€), la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques (TICPE, pour 11 Md€) et la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA, pour 8,2 Md€). Cette part est cependant extrêmement variable selon les niveaux de collectivités. Elle représente 70 % des recettes de fonctionnement des régions, 40 % des celles des départements mais seulement 6 % de celles du bloc communal[57].

 

 « des redevances pour services rendus » :

Les collectivités locales peuvent percevoir des redevances pour l’utilisation de biens ou d’installations publics (par exemple une piscine municipale) ou pour la fourniture de certains services locaux, tels que la délivrance de permis ou de certificats. Ces redevances sont présentées plus en détail en lien avec l’article 9.3 de la Charte.

 

 « des produits du domaine »

Il s’agit principalement de recettes de droit privé, telles que celles qui proviennent de la vente, la location ou la cession à bail de biens municipaux, des bénéfices économiques d’entreprises locales, de la vente de publications ou de produits touristiques et du produit d’opérations de privatisation.

 

 des participations d’urbanisme : les entreprises et les propriétaires fonciers qui participent à des opérations d’urbanisme et de construction doivent verser des contributions spéciales aux communes.

 

 des produits financiers : c’est-à-dire les emprunts et l’accès aux marchés des capitaux. Cette source de recettes est présentée plus en détail ci-dessous, en lien avec l’article 9.8 de la Charte.

 « des dons et legs », c’est-à-dire les dons volontaires de personnes physiques ou morales, et les successions.

 

 Il existe d’autres sources diverses et peu importantes, telles que les amendes et les sanctions pour les infractions mineures (par exemple les infractions au stationnement).

 

 Outre les « ressources propres », les collectivités territoriales reçoivent de nombreuses formes différentes de subventions du budget de l’État (subventions globales et subventions d’investissement) appelées « dotations » en France. Elles sont présentées plus en détail ci-dessous en lien avec l’article 9.7 de la Charte.

 

 Afin de déterminer dans quelle mesure les ressources financières des collectivités locales françaises sont « suffisantes » et d’évaluer le degré de décentralisation financière, des données et des indicateurs divers doivent être pris en considération. Dans ce domaine, les indicateurs les plus communément utilisés consistent à exprimer les recettes et dépenses locales en proportion des recettes et dépenses publiques totales et en pourcentage du produit intérieur brut (PIB).

 

 Selon le Comité des régions, en France, en 2018 les collectivités territoriales représentaient
20 % des dépenses publiques totales. En 2016, les dépenses publiques des collectivités infranationales s’élevaient à 11,1 % du PIB. Et selon l’OCDE, en 2016, 51,7 % des ressources locales provenaient d’impôts établis et levés localement ou par d’impôts partagés ; 31,1% provenaient de subventions publiques et le reste se composait d’autres revenus provenant de la vente de biens et services et de la gestion d’actifs[58].

 

 D’autres sources plus récentes vont dans le même sens : la proportion relativement faible des dépenses locales/régionales dans les dépenses globales du secteur public français. La meilleure source à ce sujet est peut-être le récent « Rapport annuel » publié par la Cour des comptes nationale peu avant la mission, qui porte exclusivement sur la décentralisation[59]. Les conclusions de ce rapport sont très simples.

 

 Au moins sur le plan financier, la France demeure un pays peu décentralisé, ainsi que le souligne la Cour des comptes.

 

 Leurs dépenses ne représentent que 12 % de la richesse du pays, alors que la moyenne dans l’Union européenne est de 17,9 % du produit intérieur brut. Le retard de la France de ce point de vue est donc manifeste.

 

 En ce qui concerne la structure des recettes des collectivités territoriales, les recettes considérées comme des ressources « propres » représentent aujourd’hui environ la moitié des recettes des collectivités territoriales, soit près de 129 milliards d’euros (répartis en 96,9 milliards € de recettes fiscales, 19,7 milliards € de redevances et 6 milliards € d’investissements propres et de recettes exceptionnelles)[60].

 

 Toutefois, cette répartition est très inégale entre les différents niveaux de collectivités : tandis que les ressources locales sur lesquelles les collectivités ont un pouvoir fiscal (« propres » au sens de la Charte) représentent 65,8 % des recettes totales des communes et des EPCI, elles ne représentent que 34,3 % de celles des départements et 17,2 % de celles des régions[61]. Il convient de noter que l’approche habituelle en France consiste à inclure les « impôts partagés » dans le chapitre des « ressources propres » ce qui est pour le moins discutable.

 

 Lors des entretiens des corapporteurs avec leurs divers interlocuteurs, ils n’ont pas entendu de plaintes récurrentes ou spécifiques selon lesquelles les collectivités locales manqueraient de ressources financières pour assurer leurs principaux services locaux. Toutefois, les responsables locaux et régionaux ont formulé des plaintes, récurrentes et qui semblent fondées dans ce domaine, qui peuvent être listées sous dix points distincts :

 

 L’autonomie fiscale des entités territoriales est faible dans le cas des communes, très faible ou extrêmement faible dans le cas des départements et des régions.

 La suppression de la taxe d´habitation sur les résidences principales (une taxe locale sur le logement) a eu un effet très négatif sur les finances locales des communes.

 

 Les régions et les départements sont principalement financés par des transferts et des subventions de l’État, ou par des « impôts partagés ». Dans la pratique, les départements et les régions ne disposent pas de ressources substantielles propres au sens de la Charte. Le transfert le plus important est la « Dotation générale de fonctionnement », mais les montants de cette subvention ne sont pas actualisés en fonction de l’inflation.

 

 En particulier dans le cas des départements et des régions, les entités territoriales ont été privées de véritables « impôts locaux », qui ont été remplacés par une « part » ou un pourcentage dans la collecte globale de certains impôts nationaux. La réduction des recettes provenant de la fiscalité locale est en théorie compensée par l’État, qui attribue une partie des « impôts partagés » aux collectivités territoriales. Cependant, selon les interlocuteurs locaux cette compensation ne correspond pas vraiment à la perte de revenus, et il y a là un déséquilibre chronique.

 

 De plus en plus, l’État octroie des subventions aux collectivités territoriales sur une base contractuelle et selon une procédure de mise en concurrence, dans le cadre de laquelle les collectivités locales doivent participer à un appel d’offres et respecter les priorités établies par les autorités de l’État. L’État accorde des fonds pour les projets qu’il identifie à l’autorité locale « gagnante » et ces projets doivent être réalisés de la manière établie unilatéralement par l’État
(les « contrats de Cahors »). Ce système transforme les collectivités locales en simples gestionnaires des priorités fixées par l’État.

 

 L’État impose par la loi de nouvelles obligations de dépenses, sans transférer les ressources financières nécessaires pour répondre à ces besoins. Le meilleur exemple en est l’augmentation des indemnités des élus locaux, dont il a été question plus haut.

 

 L’État transfère fréquemment de nouvelles compétences et responsabilités aux collectivités locales/régionales, mais ne transfère pas les ressources financières nécessaires pour fournir des services locaux/régionaux de bonne qualité. L’État ne réévalue pas périodiquement ou systématiquement l’évolution des coûts des activités transférées aux collectivités locales/régionales.

 

 L’État a imposé à plusieurs reprises un plafond ou une limitation des dépenses locales/régionales en raison de la politique économique nationale. Ainsi, par exemple, la loi de programmation des finances publiques pour la période 2018-2022 a fixé un objectif de croissance annuelle de 1,2 % des dépenses opérationnelles pour les plus grandes collectivités locales. En outre, la même loi pour 2023 prévoit un nouveau cadre pour les dépenses locales.

 

  Au cours des 20 dernières années, le poids du chapitre des « ressources propres » dans le budget des collectivités territoriales a diminué de façon constante et progressive, tandis que, dans le même temps, les contributions financières de l’État aux budgets locaux et régionaux ont augmenté. Il s’agit d’un indicateur clair de la « perte » d’autonomie financière subie par les entités territoriales. Elles reçoivent peut-être une somme équivalente de l’État, mais la source est totalement différente.

 

 Si l’on considère rétrospectivement les 30 dernières années, les subventions de l’État ont augmenté de manière significative, tandis que dans le même temps la proportion des « impôts locaux » a diminué de manière constante, du fait de la suppression de divers impôts locaux. Il s’agit d’une autre preuve du déclin manifeste de l’« autonomie » financière des entités territoriales.
En d’autres termes, les entités territoriales disposent aujourd’hui d’une « autosuffisance financière», mais leur « autonomie » financière est réduite et leur autonomie fiscale est très réduite (de fait, rien dans la Constitution n’évoque une quelconque « autonomie fiscale », selon le Conseil constitutionnel).

 

 Toutes ces plaintes seront examinées plus en détail dans les paragraphes ci-dessous.
Le programme de la mission de suivi prévoyait, dans sa deuxième partie, une réunion à Paris avec de hauts représentants du ministère de l’Économie et des Finances, au cours de laquelle les corapporteurs auraient pu vérifier cette vision des élus locaux et régionaux. Malheureusement, il n’a pas été possible pour les représentants de ce ministère de rencontrer les corapporteurs qui ont regretté cette occasion manquée d’un dialogue politique avec eux. 

 

 Au-delà des allégations formulées par des élus locaux, l’évaluation générale faite par les experts français de la vitalité et de l’efficacité du principe d’autonomie financière proclamé tant par la Charte que par la Constitution française est plutôt négative. Certains, par exemple, soulignent que « les vingt dernières années ont vu un déclin de l’autonomie financière locale(...) depuis 2011, le niveau régional a perdu liberté de fixer les taux d’imposition et, depuis 2021, les départements ont perdu (l’impôt foncier sur les propriétés bâties) la dernière partie de leur système d’imposition directe dont ils pouvaient fixer les taux »[62].

 

 D’autres, dans le même esprit, ont analysé la jurisprudence du Conseil constitutionnel français sur les principes énoncés dans l’article 72-2 de la Constitution et ont conclu que le Conseil constitutionnel avait interprété le principe de l’autonomie financière d’une manière très étroite et restrictive. Par exemple, il a déclaré que la Constitution ne garantit pas le principe de l’autonomie fiscale (décision 2009-599, 29 décembre 2009, relative à la loi de finances pour 2010) [63].

 

 Lors de la procédure de consultation, les autorités centrales ont exprimé leur désaccord avec la plupart des affirmations des élus locaux évoquées précédemment.  En outre, elles ont insisté davantage sur la nécessité de dissocier l'autonomie fiscale de l'autonomie financière des collectivités, mettant en avant la non-reconnaissance du principe d'autonomie fiscale par la Constitution et notant que la fiscalité nationale partagée fait partie des ressources locales propres au sens de la Constitution et de la loi organique (décisions du Conseil constitutionnel n° 2004-500 DC du 24 Juillet 2004 et
n°2019-796 DC du 27 décembre 2019). Les autorités centrales se réfèrent au respect des ratios d'autonomie financière définis par la loi organique et ainsi considèrent que les collectivités territoriales (notamment les départements et les régions) disposent de ressources substantielles propres au sens de l'article 72-2 de la Constitution.

 

 À ce titre, les corapporteurs estiment nécessaire de se référer au Commentaire contemporain sur le rapport explicatif de la Charte européenne de l'autonomie locale qui souligne qu’au sens de la Charte, le pouvoir fiscal représente un élément clé de l'autonomie financière des collectivités locales, et que la fiscalité locale constitue la fondation du financement des services locaux par les recettes locales.
Il s'agit d'un indicateur crucial pour évaluer l'autonomie locale. Les paragraphes 3 et 1 de l’article 9 de la Charte souligne explicitement la pertinence de la politique fiscale locale et du pouvoir de décider des taux comme condition préalable à la décentralisation[64]. En outre, “les impôts locaux ne sont pas seulement une source de financement importante pour les collectivités locales. Ils constituent aussi un outil permettant d’opérer des choix politiques afin d’influencer le comportement de la population et des entreprises locales et de favoriser le développement économique local. Cette pratique favorise par conséquent la responsabilité politique ».  Par ailleurs, les corapporteurs rappellent que le rapport de suivi précédent avait déjà soulevé la problématique de l’interprétation inclusive de la notion de
« ressources propres » dans le droit français et avait suggéré de ne pas inclure dans la catégorie des ressources « propres » des recettes dont le taux ne peut pas être défini, ne serait-ce qu'en partie, par les collectivités locales/régionales.

 

 Les corapporteurs ont constaté au cours de leur visite et à la suite de leurs entretiens une centralisation excessive du financement des collectivités territoriales en France, constituant ainsi un obstacle à la mise en œuvre du principe d'autonomie financière au sens de la Charte.

 

 Compte tenu de ce qui précède, les articles 9.1 et 9.2 de la Charte ne sont pas pleinement respectés.

Article 9.4
Les ressources financières des collectivités locales - Article ratifié

Les systèmes financiers sur lesquels reposent les ressources dont disposent les collectivités locales doivent être de nature suffisamment diversifiée et évolutive pour leur permettre de suivre, autant que possible dans la pratique, l'évolution réelle des coûts de l'exercice de leurs compétences.


 Cette disposition de la Charte inclut deux exigences différentes. D’une part, les ressources dont disposent les collectivités locales doivent être de nature « suffisamment diversifiée », ce qui signifie que les recettes des collectivités locales ne doivent pas provenir d’une ou deux sources principales. D’autre part, le système de finances locales doit être de nature « évolutive ». Cette exigence doit être comprise dans le sens où le système financier local doit permettre aux autorités locales « de suivre, autant que possible dans la pratique, l’évolution réelle des coûts de l’exercice de leurs compétences ».

 

 En ce qui concerne la première exigence, et à la lumière du système et de la structure des finances locales, tels que présentés dans le présent rapport, on peut conclure que les différents types de recettes des collectivités locales sont suffisamment diversifiés, puisqu’ils couvrent toutes les sources possibles de financement local habituellement présentes dans la plupart des systèmes européens de finances locales. Ce volet de l’article 9.5 serait donc respecté, mais il convient de rappeler que les impôts « locaux » réels ou véritables sont très réduits.

 

 Le caractère « évolutif » ou non du système français de finances locales est plus difficile à évaluer car il s’agit d’un concept très subtil et même controversé, qui permet des perspectives et des évaluations différentes. Quoi qu’il en soit, pendant et après la mission, les représentants locaux/régionaux ont déploré que le système français de finances locales les empêche de suivre l’évolution réelle des coûts liés à l’exercice de leurs responsabilités. Ils ont fourni différents exemples ou symptômes de cette défaillance structurelle, qui se serait aggravée au cours des dix dernières années.

 

 Parmi ces allégations figurent les points suivants :

 

- Les subventions de l’État ne sont pas actualisées ou revalorisées régulièrement de manière à suivre l’augmentation du coût de la vie.

- La réduction des recettes fiscales sur lesquelles les collectivités ont un pouvoir de taux (constante au cours des 20 dernières années) a érodé l’autonomie financière des collectivités locales.

- L’État impose de nouvelles obligations de dépenses aux collectivités locales, telles que l’augmentation des rémunérations des élus locaux (voir supra, point 3.6.2), sans transférer simultanément de nouvelles ressources financières supplémentaires pour faire face à cette augmentation inattendue.

- La capacité des autorités locales à fixer le taux des (rares) taxes locales encore en vigueur a été réduite. Cela entrave leur capacité à accroître leurs recettes budgétaires, qui sont nécessaires pour faire face aux obligations de dépenses découlant des nouvelles tâches transférées ou déléguées par l’État.

 

 Une récente controverse politique survenue dans la ville de Paris lors de la conduite de la mission (septembre 2023) offre une bonne illustration de cette situation. Le conseil municipal de Paris a décidé d’augmenter de 52 % la taxe foncière pour 2024 par rapport au taux de l’année précédente. Cette augmentation d’impôt a été vivement critiquée par l’opposition locale, mais la maire de Paris a soutenu que la ville avait en quelque sorte été obligée de décider de cette augmentation parce que c’était la seule possibilité pour la capitale de s’assurer qu’elle pourrait fournir ses services locaux.

 

 Plus précisément, Mme Hidalgo a annoncé que la ville allait poursuivre l’État devant les tribunaux compétents au motif que l’administration centrale ne remplissait pas ses obligations d’assurer l’autonomie financière des collectivités locales. Elle a notamment souligné que « les subventions que l’État alloue à Paris sont passées de 930 millions d’euros à « zéro » en huit ans » [65].

 

 Lors de la procédure de consultation, le gouvernement a insisté sur le fait que la réduction des recettes fiscales sur lesquelles les collectivités ont un pouvoir de taux « n’a pas porté atteinte à leur autonomie financière » car « la suppression de certains impôts locaux a été compensée à l’euro près par des recettes qui présentent une dynamique importante (taux d’évolution de la TFPB de 3,4 % en 2022 et 7,1 % en 2023 et évolution de 5,4 % de la TVA en 2022 et environ 4 % en 2023) ». 

 

 À la lumière de ce qui précède et sur la base des revendications fondées et cohérentes exprimées par des élus locaux rencontrés pendant la visite, les corapporteurs estiment qu’il y a violation partielle de l’article 9.4 de la Charte.

Article 10.1
Le droit d'association des collectivités locales - Article ratifié

Les collectivités locales ont le droit, dans l'exercice de leurs compétences, de coopérer et, dans le cadre de la loi, de s'associer avec d'autres collectivités locales pour la réalisation de tâches d'intérêt commun.


 Les collectivités locales de France ont le droit de coopérer et de s’associer avec d’autres collectivités locales du pays au sein de structures et d’organes collectifs. Ainsi, les communes françaises peuvent créer des associations ou nouer des partenariats entre elles pour réaliser des tâches d’intérêt commun et pour assurer des services locaux communs.

 

 En France, la coopération intercommunale (ci-après dénommée « CIC ») n’est pas seulement une caractéristique du paysage des collectivités locales : elle en est une caractéristique distinctive, qui a donné lieu à un nom spécifique pour décrire ce phénomène : « intercommunalité »[74]. La France est probablement le pays européen où la coopération intercommunale est la plus développée. En effet, la coopération intercommunale a donné naissance à une réalité très importante et politiquement pertinente, avec un nombre extraordinaire d’entités et de types de structures de coopération, qui n’ont cessé de croître au cours des dernières années.

 

 Les raisons de ce développement des structures de coopération intercommunale sont claires : en France, il y a plus de 35 000 communes, dont près de la moitié comptent moins de 500 habitants (les racines historiques de cette situation structurelle ont été expliquées, supra).

 

 Contrairement à d’autres pays européens[75] , la France n’a jamais tenté de réduire massivement le nombre des communes au moyen de fusions obligatoires. D’autre part, les incitations mises en place pour encourager la fusion volontaire des communes n’ont jamais produit les résultats escomptés.

 

 Par conséquent, la politique a été de favoriser la coopération intermunicipale, afin que les petites communes puissent mettre en commun leurs ressources en créant un organe ou un établissement commun, « externe » et « partagé », doté de sa propre personnalité juridique, de ses propres capacités et de ses propres moyens, qui assumerait la tâche ou les tâches que les différentes communes ne peuvent pas accomplir par elles-mêmes.

 

 Ainsi sont nés les « établissements publics de coopération intercommunale » ou EPCI tels qu’ils sont connus en France (aussi appelés plus familièrement « intercos »). Par conséquent, les organes de coopération intercommunale constituent la solution de substitution française à la fusion obligatoire.

 

 La coopération intercommunale s’exerce principalement dans les domaines des infrastructures de transport, des services environnementaux et de l’eau, des services culturels, de l’éducation et du développement économique (approvisionnement en eau, collecte des déchets, travaux d’électricité ou de gaz, transports urbains).

 

 Le développement des organes de CIC a une longue histoire. Il a commencé en 1890, lorsque la loi du 22/3/1890 a établi un modèle d’union communale appelé syndicat de communes. Ces organes étaient dotés d’une personnalité juridique propre, distincte de celle des communes partenaires, et étaient autorisés à assumer « pleinement » une responsabilité ou un service local donné, qui était assuré par le syndicat et non par les communes. Par conséquent, les compétences et les responsabilités pour cette fonction ou ce service ont été transférées des communes participantes à la nouvelle entité publique.

 

 En 1959, la loi a autorisé la création de syndicats polyvalents (c’est-à-dire que le syndicat pouvait fournir non plus un seul service local spécifique, mais plusieurs). Des milliers de ces syndicats ont été créés dans les années 1960-1970. La procédure de création d’un syndicat part des conseils des communes, qui disposent du pouvoir de décision sur cette question. Si les conseils municipaux, à l’unanimité (généralement) ou à une majorité qualifiée, approuvent le projet, le préfet publie un arrêté portant création officielle du syndicat, défini par des textes réglementaires. Le syndicat est une personne morale. Il est dirigé par une « assemblée » composée de délégués élus par chaque conseil municipal (normalement au nombre de deux). Le syndicat de communes élit un président et des vice-présidents, qui disposent de compétences exécutives[76].

 À partir de cette date, la loi a permis la création d’organes de CIC plus grands et plus complexes. Par exemple, la loi no 66-1069 du 31 décembre 1966 relative aux communautés urbaines a imposé la création de quatre communautés urbaines dans des zones métropolitaines particulièrement fragmentées (Bordeaux, Lille, Lyon et Strasbourg). D’autres ont été créées par la suite sur une base volontaire... elles disposent d’un large éventail de compétences et d’une capacité fiscale pleine et entière »[77]. Il s’agit d’un exemple de ce qu’on appelle les EPCI à fiscalité propre, dont il a été question plus haut.

 

 En 1999, le Parlement a adopté la loi sur la simplification de la coopération intermunicipale, qui a réduit le nombre des types de communautés à trois : les communautés d’agglomération, les communautés urbaines et les communautés de communes.

 

 Ainsi, en 2011, il y avait en France environ 2 600 communautés intercommunales, qui incluaient 35 041 communes, soit 95,5 % de leur nombre total et 91,2 % de la population nationale[78]

En 2017, il y avait 1 266 EPCI, incluant un total de 35 411 communes[79]. Une nouvelle loi adoptée en 2010 a apporté de nouveaux changements dans cet univers complexe, permettant notamment la création d’une nouvelle forme d’organes de CIC : la métropole.

 

 En raison de l’évolution juridique dans ce domaine, il existe deux types principaux d’EPCI : ceux qui ont leurs propres compétences fiscales (intercommunalités à fiscalité propre) et ceux qui n’en ont pas. Parmi ce dernier groupe, on ne trouve que les « syndicats de communes » (à vocation unique ou à vocation multiple). Leurs ressources consistent principalement en une contribution budgétaire des communes participantes (elles allouent les ressources nécessaires au fonctionnement de l’EPCI).

 

 Les autres EPCI appartiennent au premier type, qui est le plus pertinent et le plus important politiquement. Contrairement au deuxième groupe, ces organes se substituent partiellement ou totalement aux communes partenaires pour l’adoption des décisions fiscales, telles que la détermination du taux des impôts locaux et le reste des opérations fiscales. Dans ce groupe figurent :

(a) les communautés de communes ; (b) les métropoles ; (c) les communautés urbaines ; (d) les communautés d’agglomération ; et les « syndicats d’agglomération nouvelle ».

 

 Compte tenu de la complexité de l’« intercommunalité », il est parfois difficile de rendre compte de manière exhaustive des organes de CIC existants. Pour cette raison, sont présentées ci-dessous les informations sur les organes de CIC à fiscalité propre fournies par la Cour des comptes dans son rapport public annuel 2023, qui traite de la décentralisation[80].

 Compte tenu de leur importance et de leur portée, la multiplication des organes
de CIC (l’intercommunalité) a suscité un important débat politique, voire sociologique, dont les éléments dépassent le cadre strict de la Charte.

 

 Les corapporteurs ont, par exemple entendu au cours de leur mission, que ces organes
de CIC non seulement « vident » les communes, de leurs compétences mais aussi les délégitimisent puisque les organes de CIC ne sont pas élus par la population.

 

 À cet égard, certains interlocuteurs ont d’ailleurs souligné aux corapporteurs le fait que les organes de CIC constituent un monde bureaucratique opaque, auquel les citoyens locaux ne participent pas et qui pourrait s’apparenter non pas à un niveau « intercommunal », mais à un véritable « niveau supracommunal » remplaçant les communes et dépourvu de participation populaire et de responsabilité politique[81]. Pour de nombreux citoyens, ces organes constituent un échelon de puissance publique « caché ».

 

 En outre, certaines formes spécifiques d’organes de CIC revêtent autres aspects négatifs : par exemple, dans le cas des métropoles, on fait valoir que les petites communes entourant la grande commune centrale risquent d’être absorbées de facto par celle-ci. En effet, l’organe directeur de ces métropoles reflète proportionnellement la taille et la population des communes participantes. Le meilleur exemple à cet égard pourrait être la métropole.

 

 Lors de la procédure de consultation, le ministère a souligné que les structures intercommunales permettent « d’élaborer des projets communs de développement au sein de périmètres de solidarité » conformément aux dispositions de l’article L. 5210-1 du CGCT. Elles permettent ainsi aux communes de mettre en commun leurs moyens au service du développement de projets communs et répondent également à un enjeu de solidarité financière en ce qu’elles facilitent le partage des ressources et des charges entre les communes d’un même territoire, et participent ainsi à l’égalité de ces derniers.

 

 Tous ces aspects sont pertinents et font partie du débat politique en France, mais dans le présent rapport il convient de se concentrer sur l’analyse du phénomène sous l’angle de la Charte.

 

 De ce point de vue, il y a deux éléments importants. Premièrement, les communes ont la liberté ou la capacité de former des organes et des groupements de CIC et, de ce point de vue, les exigences de la Charte sont respectées en France. Deuxièmement – et ce point est plus controversé – lors de la mission de suivi la délégation a entendu à de multiples reprises que les lois et règlements régissant la CIC seraient trop stricts.

 

 Par exemple, ces lois disposent qu’un organe de CIC ne peut être créé qu’au-delà d’un certain nombre d’habitants ; ces mêmes lois requièrent une superficie minimale. Les communes ne seraient donc pas totalement « libres » de décider de rejoindre tel ou tel organe de CIC et elles seraient « obligées » de participer à l’organe de CIC qui « correspond » à leur emplacement ou à leur répartition géographique. Cette liberté des collectivités locales est strictement encadrée par la loi.

 

 Compte tenu des considérations qui précèdent, les corapporteurs estiment que la situation en France est conforme à l’article 10.1 de la Charte.

Article 10.2
Le droit d'association des collectivités locales - Article ratifié

Le droit des collectivités locales d'adhérer à une association pour la protection et la promotion de leurs intérêts communs et celui d'adhérer à une association internationale de collectivités locales doivent être reconnus dans chaque Etat.


 Aux fins de cette analyse, il convient d’examiner deux dimensions différentes : le droit d’adhérer à une association nationale et celui d’appartenir à des associations internationales.

 

Associations nationales

 

 En France, les collectivités locales ont le droit d’adhérer à des associations pour la protection et la promotion de leurs intérêts communs. Dans les faits, cet aspect de la gouvernance locale/régionale en France présente deux caractéristiques frappantes : a) d’une part, l’existence de nombreuses associations différentes ; b) d’autre part, le fait que certaines d’entre elles sont constituées par les « élus » en tant que personnes physiques (généralement les titulaires de l’« organe exécutif » des collectivités), et non par les entités de droit public. Ces associations sont d’ailleurs mieux connues sous le nom d’« associations d’élus locaux » que sous celui d’« associations de collectivités ».

 

Un site web gouvernemental[82]donne une liste non exhaustive de ces associations d’élus :

Assemblée des communautés de France (AdCF)

Départements de France

Association des maires de France (AMF)

Association des maires ruraux de France (AMRF)

Association des petites villes de France (APVF)

Association nationale des élus de la montagne (ANEM)

Association nationale des élus des territoires touristiques (ANETT, ex ANMSCCT)

Association nationale des élus du littoral (ANEL)

Fédération des élus des entreprises publiques locales (FEDEPL)

Fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR)

France urbaine (Association de l’AMGVF et l’ACUF)

Régions de France (ex-ARF)

Association nationale des élus de la vigne et du vin (ANEV)

 Au cours de la mission, les corapporteurs ont tenu des réunions avec certaines de ces associations, parmi les plus représentatives. Pour des raisons liées à des exigences de concision
du présent exposé des motifs, seules les associations listées ci-dessous seront sommairement présentées :

 

Association des maires de France (AMF).

 

 Il s’agit de la plus grande association au niveau local, représentant non seulement les communes mais aussi les organes de CIC[83]. Là encore, les communes et leurs organes de CIC doivent être réunis pour des raisons évidentes. Cette association a été fondée en 1907 et compte aujourd’hui plus de 34 000 membres, dont des maires et des présidents d’organes de CIC.

 

 Cette association mène un éventail impressionnant d’activités, telles que la représentation du secteur des communes dans le dialogue politique et interterritorial, des activités de formation et de partage des connaissances, la sensibilisation, etc. Elle informe, conseille, assiste et représente le premier niveau de collectivités locales françaises.

 

 L’association publie également des livres et des bulletins d’information, et organise des séminaires et des conférences dans toute la France. L’AMF promeut en outre la coopération intercommunale et émet des avis sur les projets de lois ayant trait aux communes. L’association est financée par les cotisations de ses membres, qui sont versées par la totalité des communes et organes de CIC de France.

 

Association « Villes de France »

 

 « Villes de France » est une association d’élus des villes et des agglomérations françaises.
Il s’agit d’une association pluraliste d’élus qui regroupe des communes de 10 000 à 100 000 habitants et leurs agglomérations sur l’ensemble du territoire français, représentant au total près de la moitié de la population française (30 millions d’habitants).

 

 Par conséquent, cette association ne vise ni les petites villes ni les grandes villes. Elle a été fondée il y a près de 30 ans, et ses membres sont aujourd’hui des élus de 860 villes et
400 intercommunalités métropolitaines de France[84].

 

Association « Régions de France ».[85]

 

 « Régions de France » représente les régions métropolitaines françaises, ainsi que les régions d’outre-mer et les collectivités locales assimilées dans leurs relations avec les pouvoirs publics. Cette association œuvre à la construction, au soutien, à la diffusion et au développement du projet politique régional. Il couvre toutes les politiques régionales, dans toutes leurs dimensions. Le « Conseil des régions » est l’organe de décision suprême et réunit les 19 présidents des régions membres. Il se réunit une fois par mois, délibère et définit la position de « Régions de France » sur les projets de textes législatifs et réglementaires soumis à l’association.

 

Association des maires ruraux de France (AMRF)[86]

 

 Cette association a été fondée pour représenter les intérêts des petites communes situées dans les régions rurales. Fondée en 1971, elle rassemble près de 12 000 maires ruraux au sein d’un réseau qui se veut indépendant des pouvoirs et des partis politiques.

 

 Les membres de l’AMRF représentent la voix des collectivités rurales et défendent leurs intérêts spécifiques dans leurs relations avec le reste des pouvoirs territoriaux et gouvernementaux. L’AMRF couvre une grande partie du territoire national et elle repose sur un réseau de 87 sections départementales.

 

Association des petites villes de France[87]

 

 Cette association a été créée en 1990 dans le but de représenter les positions et les réalités des petites villes (de 2 500 à 25 000 habitants) et de promouvoir leur rôle spécifique dans le développement régional. Aujourd’hui, elle compte près de 1 200 membres dans chaque département de la métropole et de la France d’outre-mer.

 

Départements de France[88]

 

 Comme son nom l’indique, cette association a été fondée pour représenter les intérêts des collectivités locales de second rang en France, à savoir les départements. Créée en 1946, elle rassemble les élus de ces collectivités locales. Actuellement, elle réunit les présidents
des 103 collectivités locales membres (95 départements et 8 collectivités locales dotées de pouvoirs départementaux). Cette association mène les actions propres à ces organismes : lobbying, mise en réseau, diffusion des connaissances, adoption de positions communes, etc.

 

 Notant la grande diversité actuelle des associations d'élus locaux et régionaux, les corapporteurs soulignent toutefois que cette fragmentation importante des associations n'est pas propice à un plus grand « poids » politique et un pouvoir de négociation plus fort vis-à-vis de l’État.

 

Associations internationales

 

 La liberté générale dont jouissent les collectivités locales de France pour former des associations représentatives nationales ou régionales ne se reflète pas dans leur capacité à former des associations internationales. À ce sujet, il convient de mentionner l’Association française du Conseil des Communes et des Régions d’Europe (AFCCRE)[89].

 

 Fondée en 1951, cette association regroupe aujourd’hui près d’un millier de collectivités territoriales françaises de toutes sortes : régions, départements, intercommunalités, communes. Il s’agit d’une organisation pro-européenne qui est à l’origine du mouvement européen des jumelages. L’association est la branche française du Conseil des Communes et Régions d’Europe (CCRE), une organisation européenne qui rassemble près de 100 000 collectivités territoriales en Europe.

 

 Cette association s’intéresse à toutes les politiques européennes touchant directement ou indirectement les collectivités locales françaises. L’AFCCRE intervient dans cinq domaines principaux : a) la défense du projet européen et de l’autonomie locale et régionale (elle lutte notamment pour l’inclusion des collectivités locales et régionales dans toutes les politiques européennes) ; b) le conseil et le soutien aux collectivités locales et régionales françaises sur les questions et politiques européennes et internationales au niveau local ; c) la représentation et le « lobbying » des intérêts territoriaux aux niveaux national, européen et international ; d) l’échange d’expériences entre élus locaux et régionaux sur les questions européennes ; e) la formation des élus (accréditation du ministère français de l’Intérieur).

 

 Outre cette organisation spécifique, la plupart des autres organisations ont leur propre service international, comme l’ADF ou l’AMF.

 

 Compte tenu des considérations qui précèdent et de l’extraordinaire vitalité des associations d’entités territoriales, les corapporteurs estiment que la France respecte pleinement les exigences de l’article 10.2 de la Charte.

Article 10.3
Le droit d'association des collectivités locales - Article ratifié

Les collectivités locales peuvent, dans des conditions éventuellement prévues par la loi, coopérer avec les collectivités d'autres Etats.


 À titre liminaire, il convient de rappeler que la France a signé et (éventuellement) ratifié un ensemble important de traités du Conseil de l’Europe sur la coopération transfrontalière, qui ont déjà été présentés ci-dessus (voir le paragraphe 5 du présent exposé des motifs). Le plus important de ces traités est naturellement la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales (STE n° 106), que la France a signée le 10 novembre 1982 et ratifiée le
14 février 1984. La Convention est entrée en vigueur le 15 mai 1984.

 

 En lien avec ce traité, il est important, du point de vue de l’autonomie locale, de rappeler que
la France a fait initialement, lors de la signature, une déclaration selon laquelle « le Gouvernement de la République française, se référant au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, déclare
qu’il subordonne l’application de celle-ci à la conclusion d’accords interétatiques ». Par conséquent, la coopération transfrontalière entre (par exemple) une collectivité locale française et une collectivité locale espagnole n’était pas absolument libre, en ce sens que, à titre de condition préalable, ces deux pays devaient d’abord signer un accord.

 

 Toutefois, cette déclaration a été retirée ultérieurement par une note verbale de la Représentation permanente, en date du 24 janvier 1994, ce qui signifie qu’aujourd’hui cette exigence n’est plus en vigueur, ce qui doit être salué du point de vue de l’autonomie locale.

 

 Dans les faits, les collectivités locales de France participent à de multiples initiatives et projets de coopération avec des collectivités locales d’autres États. Il convient de mentionner tout particulièrement les actions incluses dans le programme « Interreg » de l’UE. Selon des sources gouvernementales, la France participe à 23 de ces programmes, par lesquels des entités territoriales françaises coopèrent avec leurs homologues de tous les pays voisins tels que l’Espagne, l’Italie, la Suisse, etc. Sur ces
23 programmes, neuf sont transfrontaliers, cinq sont transnationaux, quatre sont interrégionaux et cinq concernent les régions ultrapériphériques françaises.

 

 La France ayant des territoires sur différents continents, la coopération internationale des collectivités territoriales françaises peut atteindre de nombreux endroits différents et éloignés dans le monde. Par exemple, et toujours dans le cadre du programme « Interreg », il existe des programmes pour les régions ultrapériphériques. Deux d’entre eux (auxquels participent Saint-Martin et Mayotte) sont des programmes transfrontaliers et trois autres (Océan indien, Caraïbes et Amazonie) combinent des éléments de programmes transfrontaliers et de programmes transnationaux plus larges[90]. L’île de la Réunion, par exemple, a des programmes de coopération avec les îles des Seychelles, Maurice et Madagascar.

 

 En outre, des collectivités locales françaises ont conclu des accords de jumelage avec de nombreuses collectivités locales étrangères, mais nous ne pouvons pas en fournir une description complète dans le présent rapport[91].

 

 Compte tenu des considérations qui précèdent, les corapporteurs estiment que la France respecte les exigences de l’article 10.3 de la Charte.

Article 11
Protection légale de l'autonomie locale - Article ratifié

Les collectivités locales doivent disposer d'un droit de recours juridictionnel afin d'assurer le libre exercice de leurs compétences et le respect des principes d'autonomie locale qui sont consacrés dans la Constitution ou la législation interne.


 L’analyse de la protection légale de l’autonomie locale/régionale en France doit porter sur deux aspects différents : d’une part, l’accès des collectivités locales aux juridictions judiciaires et administratives et, d’autre part, leur accès au Conseil constitutionnel pour défendre le principe de l’autonomie locale, tel qu’il est énoncé dans la Charte ou dans la Constitution française.

 

 Concernant le premier aspect, les collectivités locales du pays ont effectivement qualité pour agir devant les juridictions judiciaires afin de défendre leurs droits, leurs biens et leurs intérêts, au même titre que toute autre personne morale. C’est notamment le cas lorsqu’une commune (par exemple) noue des relations de droit privé ou civil avec des particuliers ou des entreprises.

 

 Une caractéristique distinctive du système de la justice en France est l’existence d’un ensemble distinct de tribunaux qui statuent sur les réclamations et les procédures juridictionnelles en droit public et administratif. C’est le cas lorsque les entités locales et régionales agissent en tant que « puissance publique », notamment en tant qu’organismes publics exerçant des compétences gouvernementales, fournissant des services publics et mettant en pratique leurs pouvoirs et prérogatives de droit public (décisions exécutives, amendes et sanctions, domaine public, expropriations, etc.). Cette juridiction est traditionnellement qualifiée de « juridiction administrative » en France et se compose de tribunaux de première instance, de cours d’appel et du Conseil d’État, qui est la juridiction suprême en matière administrative. 

 

 Dans ces tribunaux, une autorité locale ou régionale peut agir en qualité de demandeur ou de défendeur. Par exemple, elle agira en tant que défendeur lorsque le préfet poursuit une commune dans le cadre du contrôle de la légalité (voir, ci-dessus, point 3.7.2). Dans le cadre de ces procédures, la commune peut invoquer les principes de l’autonomie locale consacrés par la Constitution, par le
« Code général » ou par la Charte en tant qu’argument pour défendre la légalité de sa décision.

 

 Une collectivité locale peut également agir en qualité de demandeur devant les tribunaux administratifs. Par exemple, une commune peut intenter une action devant la juridiction administrative pour contester une décision, un acte ou un règlement émis par les autorités de l’État (soit au niveau central, par exemple un ministère, soit à un niveau déconcentré, par exemple un préfet) et, dans le cadre de telles procédures, l’entité locale peut également invoquer les principes de l’autonomie locale. Dans ce cas, les règles applicables en matière de « qualité pour agir » sont celles de la juridiction administrative. Par ailleurs, les collectivités locales peuvent utiliser aussi le « référé-liberté »
(art. L.521-2, Code Justice administrative) qui permet de faire cesser en urgence une atteinte manifeste à une liberté fondamentale (le juge administratif se prononçant dans les 48 heures). Ceci est possible car la libre administration des collectivités a été reconnue par le juge administratif comme une de ces libertés fondamentales pouvant être défendue par la voie de cette procédure.

 

 L’ensemble des décisions rendues par les tribunaux administratifs constitue une jurisprudence intéressante, dans laquelle le Conseil d’État et les autres juridictions de l’ordre administratif ont interprété et éventuellement appliqué la législation protégeant les collectivités locales, ainsi que les dispositions constitutionnelles sur la décentralisation, ou la Charte elle-même. La délégation n’a eu connaissance d’aucune plainte de la part de dirigeants ou de représentants locaux à ce sujet.

 

 En réalité, la place de la Charte dans les décisions de ces juridictions est relative. Selon les membres du Conseil d’État auditionnés par les corapporteurs, la Charte n’a été invoquée que 10 à 15 fois en tant qu’argument principal dans les litiges administratifs. Les revendications habituelles concernant l’autonomie locale se fondent plutôt sur la violation du principe de « libre administration » inscrit dans la Constitution, que sur celle des stipulations de la Charte.

 

 Il convient par ailleurs d’examiner si les collectivités locales françaises disposent d’un recours ou d’une procédure spécifique leur permettant de défendre précisément (ou uniquement) le principe de l’autonomie devant les juridictions judiciaires ou administratives. Dans les faits, elles n’en disposent pas : il n’existe pas de telles « procédures spéciales ». Cependant, en vertu du droit procédural général, une collectivité locale peut très bien invoquer une violation de la Charte, des principes constitutionnels relatifs à l’autonomie locale ou de la législation ordinaire relative aux collectivités locales, et cette violation pourrait éventuellement rendre illégale (pour cause d’« excès de pouvoir ») une décision gouvernementale concernant une commune/un département/une région, ou même un règlement administratif approuvé par le gouvernement (« ordonnances » et autres textes réglementaires).
Par conséquent, il n’est pas jugé nécessaire qu’un tel recours « spécial » devant les juridictions administratives existe, car la loi en vigueur permet à toute autorité territoriale d’invoquer les principes et les règles de l’autonomie locale dans toute procédure.

 

 Il est important de noter que les collectivités territoriales ne peuvent pas saisir les tribunaux administratifs pour un recours direct contre une loi ou un acte législatif, car ces tribunaux ne sont pas compétents en la matière et un tel contrôle ne peut être exercé que par le Conseil constitutionnel.

 

 Par conséquent, nous devons examiner maintenant si les collectivités locales ont la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel pour la protection des principes de l’autonomie (qu’ils soient énoncés dans la Charte ou dans la Constitution française). Cette possibilité est inexistante, du moins pour ce qui concerne les actions « directes ». En effet, dans le droit français en vigueur, les collectivités locales n’ont pas qualité pour saisir le Conseil constitutionnel au sujet de l’inconstitutionnalité supposée d’une loi (en invoquant une violation des principes de l’autonomie locale ou de la décentralisation).

 

 Le Conseil constitutionnel peut contrôler la constitutionnalité des lois et autres textes législatifs du Parlement de deux manières différentes : avant la promulgation effective de la loi (contrôle a priori) ou après son entrée en vigueur (contrôle a posteriori).  Dans le premier cas, la qualité pour agir est limitée à certaines parties spécifiques : le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou sénateurs. Par conséquent, les collectivités locales et régionales n’ont pas qualité pour engager un recours direct « a priori » sur l’inconstitutionnalité d’une loi qui pourrait réduire ou violer les principes de l’autonomie locale.

 

 Le contrôle « a posteriori » de la conformité des lois et autres textes législatifs avec la Constitution s’effectue principalement par le biais d’une procédure spécifique, appelée la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette procédure de « question prioritaire de constitutionnalité », qui peut être utilisée depuis 2010 (en vertu de la loi organique no 2009-1523 du 10 décembre 2009) permet à tout justiciable de contester la constitutionnalité d’une disposition législative déjà en vigueur, qui commande le procès.

 

 La question peut être soulevée à tout stade de la procédure devant une juridiction administrative ou judiciaire. Le demandeur peut demander au tribunal en charge du procès de saisir le Conseil constitutionnel d’une QPC. Le choix de saisir ou non le Conseil constitutionnel appartient cependant au tribunal et ce n’est pas une décision « automatique » (le tribunal peut rejeter la demande de renvoi de la QPC devant le Conseil constitutionnel).

 

 Lorsque le Conseil constitutionnel est saisi d’une QPC, il examine la compatibilité des dispositions législatives avec la Constitution française et peut éventuellement déclarer que la disposition législative contestée est inconstitutionnelle (parce qu’elle viole une disposition de la Constitution). 

 

 Ainsi, dans le cadre (par exemple) d’une procédure engagée devant un tribunal administratif par une collectivité locale/régionale, celle-ci peut faire valoir qu’une disposition législative qui régit le litige porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution (en l’espèce, le principe de la « libre administration »). La juridiction administrative peut porter la question devant le Conseil constitutionnel.

 

 Par conséquent, il serait possible pour une collectivité locale de contester devant une juridiction administrative une décision ou un décret du gouvernement et, pour cette juridiction (principalement le Conseil d’État), de soumettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité de la loi qui permet l’adoption d’une telle réglementation, lorsque le demandeur invoque par exemple une violation de l’article 72 de la Constitution. Par conséquent, les collectivités locales/régionales disposent d’une forme d’accès indirect au Conseil constitutionnel.

 

 Cette situation s’est déjà produite plusieurs fois. Par conséquent, il existe une jurisprudence notable du Conseil constitutionnel sur les principes de décentralisation et d’autonomie qui sont inscrits dans la Constitution française. D’une manière générale, cette jurisprudence est très respectueuse des choix politiques adoptés par les législateurs, et ce n’est que dans des cas exceptionnels qu’une loi ou une disposition a été déclarée inconstitutionnelle pour violation des dispositions constitutionnelles relatives à la décentralisation et à l’autonomie locale[92].

 

 Une tendance préoccupante de la jurisprudence constitutionnelle est celle qui concerne l’autonomie financière des entités locales/régionales, qui a été présentée supra (voir point 3.8.2)[93].
On trouve un bon exemple de cette approche restrictive dans les arrêts du Conseil constitutionnel qui a) ont déclaré que la suppression progressive de la taxe d’habitation pour les autorités locales, décidée par la loi de finances de 2018 et 2019 (voir point 3.8.3), n´était pas inconstitutionnelle[94] ; (b) n´ont pas jugé inconstitutionnelle une réduction importante de la « dotation globale de fonctionnement », décidée par l´État dans la loi de finances de 2015[95] ; ou c) ont déclaré que le principe de libre administration et celui d´autonomie financière n´accordent pas aux autorités locales un pouvoir fiscal propre, et que législateur national a la responsabilité exclusive de réglementer les taxes locales[96].

 

 Enfin, il convient de mentionner le rôle et la pertinence de la Charte dans les décisions judiciaires du Conseil constitutionnel. Pour le dire en quelques mots, la Charte ne joue aucun rôle. Il n’est pas possible de déclencher une QPC au motif que les dispositions légales controversées enfreignent la Charte.

 

 La raison en est que, selon le Conseil constitutionnel, la Charte est un traité international, ratifié selon les procédures prévues à l’article 55 de la Constitution, et les traités internationaux ne peuvent être utilisés en tant que paramètres pour évaluer la constitutionnalité d’une loi donnée (ni même comme source d’interprétation « fiable » des dispositions constitutionnelles). La mission du Conseil constitutionnel n’est pas de vérifier la conformité des textes de loi nationaux avec les traités internationaux (un contrôle appelé « contrôle de conventionnalité » en France), mais uniquement avec la Constitution elle-même. En outre, la France n’est pas un pays « moniste ».

 

 Cette approche quelque peu restrictive contraste avec la jurisprudence d’autres cours constitutionnelles européennes[97].

 

 En conséquence, le contrôle de la conformité des lois avec la Charte devrait être effectué par d’autres juridictions (par exemple par le Conseil d’État), et non par le Conseil constitutionnel. Ce contrôle devrait être assuré par les juridictions judiciaires ou administratives, par exemple par le Conseil d’État. Celui-ci peut déclarer qu’une disposition juridique nationale donnée est incompatible avec un traité international dûment souscrit par la France[98] (en vertu du droit constitutionnel français, les traités internationaux dûment ratifiés priment sur les lois et règlements nationaux).

 

 C’est pourquoi, dans l’exemple précédent, le Conseil d’État n’appliquera pas la disposition nationale controversée, ce que l’on appelle en français « écarter l’application d’une loi ». Toutefois,
la disposition nationale restera en vigueur.

 

 Cette interprétation a été clairement mise en pratique à l’occasion du recours direct d’inconstitutionnalité qui a été introduit par plusieurs députés et sénateurs contre les dispositions législatives qui ont entraîné la réorganisation du territoire et du nombre des régions françaises
(loi nº 2015-29, du 16 janvier 2015). Entre autres motifs de leur recours, les demandeurs ont invoqué la violation de l’article 5 de la Charte, puisqu’aucun accord préalable, consentement ou même consultation des régions existantes n’avait été obtenu et qu’aucun référendum n’avait eu lieu.

 

 Le Conseil constitutionnel, d’une manière assez expéditive, a rejeté cet argument et déclaré que le principe de la force supérieure des traités internationaux sur la législation nationale qui découle de l’article 55 de la Constitution n’implique pas que le respect de ce principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois avec la Constitution. En outre, il n’appartenait pas à cette juridiction d’examiner la conformité d’une loi donnée avec un traité international (décision nº 2014-709 DC, du 15 janvier 2015, paragraphe 4).

 

 La jurisprudence du Conseil constitutionnel est liée à celle du Conseil d’État, de sorte que les conclusions du premier peuvent déterminer les résultats du jugement du second. Ainsi, toujours sur le thème de la réorganisation des régions réalisée en 2015, des requêtes ont également été portés devant le Conseil d’État. En l’espèce, l’objet des requêtes n’était pas la loi elle-même (que le Conseil d’Etat n’a pas compétence pour censurer), mais les décrets d’application de ladite loi, qui portaient convocation du corps électoral aux élections régionales dans les collectivités régionales nouvellement créées. Les requérants sollicitaient l’annulation de ces décrets.

 

 Entre autres motifs, ils invoquaient l’article 4.3 et l’article 5 de la Charte. Toutefois, dans sa décision nº 393026 du 27 octobre 2015, le Conseil d’État a écarté ces moyens. Concernant
l’article 4.3, il a déclaré que la loi relative à la nouvelle délimitation des régions n’impliquait pas de transfert de compétences entre entités territoriales appartenant à des niveaux différents et que cette disposition de la Charte n’avait pas pour objet de créer des effets juridiques à l’égard des personnes physiques (paragraphe 4).

 

 Concernant l’article 5 de la Charte, le Conseil d’État a déclaré que, bien qu’en vertu de l’article 55 de la Constitution, il ait le pouvoir d’annuler une décision administrative fondée sur une disposition législative qui viole un traité international, dans ce cas précis, le Conseil a refusé de faire droit
à l’argument selon lequel la loi de 2015 a été approuvée selon une procédure qui n’était pas conforme à la Charte. Cette décision du Conseil d’État implique que cette juridiction peut bien examiner la conformité entre une disposition substantielle d’une loi nationale et un traité international, mais qu’elle ne peut pas vérifier si la procédure suivie pour approuver la loi en question est conforme aux exigences procédurales établies dans ce traité.

 

 Il découle de tous ces développements que, jusqu’à présent, le concept et les principes de l’autonomie locale, tels qu’ils sont inscrits dans la Constitution, ont joué un certain rôle dans le cadre du contrôle constitutionnel de la législation, tandis que la Charte en tant que telle n’y a joué aucun rôle.

 

 Compte tenu de ce qui précède, les corapporteurs estiment que dans les circonstances actuelles le système d’administration locale de la France répond aux exigences énoncées à l’article 11 de la Charte.

ADHESION

au Conseil de l’Europe

RATIFICATION

de la Charte européenne de l’autonomie locale

CONSTITUTION | LEGISLATION NATIONALE

Il s’agit du deuxième rapport évaluant la mise en œuvre de la Charte en France depuis que le pays l'a ratifiée en 2007. Les corapporteurs notent avec satisfaction l'annonce du Premier ministre d’une réforme de la décentralisation, la clause générale de compétence dont bénéficient les municipalités, ainsi que la ratification par la France du Protocole additionnel à la Charte en 2020 ou encore le statut spécial accordé àla Ville de Paris en 2019. La fréquente référence à la Charte dans le contentieux relatif aux questions de gouvernance locale ou régionale est également saluée par les corapporteurs.

Cependant, le rapport relève des points qui méritent une attention particulière, notamment une décentralisation incomplète, comme indiqué dans le bilan établi par la Cour des comptes dans son rapport public annuel de 2023 intitulé "La décentralisation 40 ans après", une répartition confuse des compétences, une surréglementation de l'exercice des compétences déléguées aux autorités locales, et une diminution progressive de la fiscalité locale entraînant une centralisation excessive du financement des collectivités territoriales. En outre, les corapporteurs notent le manque de financement proportionnel de la part du gouvernement central, une dépendance accrue des autorités locales à l'égard des subventions et du financement contractuel, ainsi que l'utilisation des mécanismes de consultation principalement comme des canaux pour informer les collectivités territoriales des initiatives, plans et réglementations du gouvernement central.

Enfin, les corapporteurs expriment leur préoccupation face aux menaces croissantes et aux agressions contre les maires et les élus locaux, de la part de la société dans son ensemble, souvent via les réseaux sociaux, mettant en péril la gouvernance démocratique locale.

Par conséquent, les corapporteurs suggèrent de poursuivre la décentralisation récemment annoncée dans le pays, de clarifier la répartition des compétences, d'éviter la surréglementation des compétences, de renforcer l'autonomie fiscale au niveau infranational, et de revoir périodiquement les coûts liés à l'exercice des compétences déléguées afin de garantir leur financement proportionnel. Ils soulignent également l'importance de réduire la dépendance des autorités locales vis-à-vis du financement contractuel et des transferts centraux, tout en mettant en œuvre de véritables mécanismes de consultation.

Enfin, les corapporteurs encouragent les autorités nationales à renforcer la protection juridique des maires et à allonger les délais de prescription en matière pénale.



28Disposition(s) ratifiée(s)
1Disposition(s) avec réserve(s)
1 Disposition(s) non ratifiée(s)
24Disposition(s) conforme(s)
5Articles partiellement conformes
1Article non conforme